Manifestation Dans le fief du Hezbollah, des centaines de milliers de personnes manifestent pour dire "Merci à la Syrie !" "Nous exigeons tous la vérité sur la mort d'Hariri et l'intégrité du Liban".Nabatiyé (Liban sud) de notre envoyée spécialePour ou contre la Syrie, pour ou contre la résolution 1559 de l'ONU, c'est à qui manifestera en plus grand nombre et à qui parlera le plus fort. Après Beyrouth, c'est Nabatiyé, au cœur du Liban sud, qui a été choisi, dimanche 13 mars, comme lieu de rassemblement par les loyalistes menés par la formation chiite du Hezbollah. De 200 000 à 300 000 manifestants, selon les sources, ont afflué sous les ovations des habitants postés aux balcons. Venus des villages alentour, beaucoup ont abandonné leurs véhicules bloqués dans les embouteillages, terminant la route à pied et en famille.Le choix de Nabatiyé est symbolique. C'est le fief du Hezbollah, de la "résistance" comme on l'appelle ici, et le poste avancé de son bras armé lorsque Israël occupait la région (de mars 1978 à mai 2000). En témoignent les portraits des martyrs à chaque coin de rue et l'ambiance générale de ce grand rassemblement. Les sonos jouent plein tube les chants guerriers de la "résistance". A côté des slogans habituels - "Non à la 1559 !" et "Merci à la Syrie !" -, des banderoles dénoncent violemment l'"ennemi sioniste"."Ici, nous avons tous un frère, un père ou un enfant tué par Israël, explique Ali, ancien combattant du Hezbollah. Quand le reste du Liban laissait mourir le Sud sans rien faire, la Syrie n'a jamais cessé de nous aider. Il faudra un jour qu'elle quitte le pays, mais pas sous les insultes ! Elle partira comme un pays frère et ami, après des négociations respectables. Les Etats-Unis et la France ne devraient pas se mêler de cette affaire ! Qu'ils nous laissent tranquilles !"Des précédentes interventions américaines et françaises au Liban, Hassan, un jeune manifestant, ne connaît que l'histoire du départ précipité de leurs troupes après que deux attentats kamikazes à Beyrouth, le 23 octobre 1983, ont tué 241 marines américains et 56 parachutistes français. "S'ils reviennent, prédit Hassan, ils repartiront de la même façon, dans des cercueils !"RARES DÉRAPAGESLa contestation ne s'exprime pas toujours de façon aussi radicale. Un âne, affublé d'une cravate et d'un bonnet marqué "George W. Bush", déclenche les rires. "Bush se comporte comme un cow-boy, crie son propriétaire, mais nous ne sommes pas ses vaches !"Cette fois encore, consigne a été donnée de ne brandir que le drapeau national. Ceux qui sont venus avec la bannière jaune du Hezbollah ou verte du Amal, deuxième grande formation chiite, ont été obligés de les déposer à l'entrée de la ville. Restent quelques slogans provocateurs. Un panneau représente Walid Joumblatt, le chef de file de l'opposition, en costume de rabbin : on lui reproche ici d'être à l'origine de la décision du Parlement européen d'inscrire le Hezbollah sur la liste des organisations terroristes. Une banderole accuse les antisyriens de "traîtrise" et de vouloir "la partition du Liban".Inquiétants dans ce contexte de crise libanaise, ces dérapages sont rares. Les manifestants interrogés se veulent compréhensifs à l'égard de l'autre camp. "Nous sommes les enfants du même pays, déclare un homme. Nous exigeons tous la vérité sur la mort d'Hariri -l'ancien premier ministre assassiné- et l'intégrité du Liban. Nous n'avons pas le même point de vue sur les moyens d'y parvenir, mais personne ne souhaiterait pour autant déclencher une guerre civile.""Il n'y a pas de problème communautaire, renchérit une jeune femme sous son tchador. Ici, nous avons souffert de la guerre plus que tous les autres Libanais. Au Sud, musulmans et chrétiens veulent vivre en paix, ensemble. Aujourd'hui, ils s'expriment d'une seule voix."A quelques kilomètres de là, dans le village chrétien d'Adoussiyé, règne une tout autre ambiance. Une quinzaine de jeunes prennent le soleil, une canette de bière à la main. "Ici, affirment-ils, personne ne s'est déplacé à Nabatiyé. Bien au contraire, plusieurs se préparent à gagner Beyrouth, le soir même, afin de ne pas manquer la manifestation de l'opposition du lendemain.""Nous sommes reconnaissants envers la "Résistance", explique l'un d'eux, mais nous en avons assez de vivre sous la loi des hommes de Bachar Al-Assad -le président syrien-. La communauté internationale nous écoute enfin et elle nous soutient. Pour la première fois, nous n'avons plus peur. Nous irons manifester demain, malgré les menaces du gouvernement. Nos enfants seront fiers de savoir que les chrétiens du Sud se sont battus pour l'indépendance du Liban."
