Exposition Dada, l'éphémère papillon de toujoursARTS Une remarquable exposition au Centre Georges-Pompidou permet de prendre la mesure d'un moment exceptionnel de la vie artistique internationale LE FAIT EST à peine croyable. C'est la première fois depuis 1966, l'année de la mort d'André Breton, que la France – en l'occurrence le Centre Georges-Pompidou – accueille une exposition sur dada. Il aura fallu tout ce temps pour que la France, prétendue «terre des arts et de la modernité», consacre une exposition à ce qui fut l'un des mouvements artistiques internationaux le plus important et le plus novateur du XXe siècle par lequel est passée peu ou prou la majeure partie des plus importants artistes de ce siècle, ceux d'avant-garde bien sûr, mais même un Valéry, un Gide ou un Morand.La voilà enfin et même si elle est un peu labyrinthique, anarchique, sans la moindre intention pédagogique rudimentaire (une exposition dada, quoi !), elle est, grâce au savoir-faire et à l'érudition de Laurent Le Bon, foisonnante (plus de 2 000 pièces), riche de fantaisie, d'humour et de chefs-oeuvre. Car si Tristan Tzara, l'un des fondateurs de ce mouvement cosmopolite et multidisciplinaire – quoique ce dernier mot soit bien mal choisi vu la réticence de ses membres à la discipline justement – a donné un jour cette lapidaire définition : «dada ne signifie rien», même s'il a affirmé aussi que «dada est la danse des impuissances de la création», qu'il a multiplié les appels à la négation de tout, à la destruction, à l'indifférence et tel Rimbaud a «assis la beauté sur ses genoux et l'a trouvée laide», même si l'écrivain et poète allemand Hugo Ball, autre fondateur du mouvement, nota «ce que nous appelons dada est une bouffonnerie issue du néant», eh bien, malgré tous ces propos, dada ne s'est pas contenté de farces, de provocations, d'improvisations, de non-sens auxquels on l'a trop fréquemment réduit.Dada fut-il un mouvement ? Il a produit des oeuvres d'une grande singularité, désarçonnantes, souvent mais aussi, et, on le dit moins (la vaste exposition du Centre Pompidou le démontre abondamment), des oeuvres d'une grande beauté : les magnifiques Fleurs-marteau de Jean Arp, les collages de Schwitters, de nombreuses oeuvres de Picabia (très largement dispersées dans l'exposition), avec notamment une petite salle à lui seul consacrée, où trône ce somptueux – on n'ose pas dire en majesté – ce Volucelle II de 1922 ou encore ce Dresseur de chien de Picabia de 1923 qui donnera en, 1937, l'extraordinaire Dresseur d'animaux. Certains peut-être se rappellent que Tzara le poète séditieux, le révolté sans salut, le violent parfois, le nihiliste, le sardonique, le fossoyeur de l'art, a un jour, lors d'une conférence à Weimar et Iéna en 1922, prononcé ces propos, presqu'une définition de demoiselle rêveuse, plutôt inattendus de sa part : «Dada met une douceur artificielle sur les choses, une neige de papillons sortis du crâne d'un prestidigitateur.» Dada fut-il réellement un mouvement, d'ailleurs ? Pas exactement. D'abord il fut bien trop éphémère (disons des années 1914 à 1924, date du premier manifeste surréaliste). Pour cela il eût fallu une sorte de communion de style et les oeuvres ici sont d'une variété infinie. Et un chef, ce n'était pas le genre de la maison si peu ecclésiale. Dada fut (et peut encore l'être) un état d'esprit. Y dominent, entre autres, l'esprit d'enfance, l'utilisation de tous les matériaux, le rejet de la raison, de la logique, un goût prononcé pour l'extravagance, la dérision – et l'humour ce qui n'est pas tout à fait la même chose –, l'hétéroclite, le lyrisme, l'irrespect (la Joconde de Duchamp), un amour sans bornes de la liberté (celle des formes et du langage en particulier), un mépris total pour les vieilleries solennelles, le passé. «Dada, dira Tzara un jour, est un microbe vierge.» On verra dans l'exposition beaucoup d'étoiles de ce firmament de la contestation. Et pourtant... «Les débuts de dada, écrivit également le poète, n'étaient pas les débuts d'un art mais ceux d'un dégoût.»Réinventer le langage Certains ont rapproché ces dispositions juvéniles dadaïstes à révolutionner l'art de celles de Rimbaud et de Lautréamont qui ont connu les horreurs de 70 et la Commune. C'est vrai jusqu'à un certain point. Cette assemblée cosmopolite de jeunes gens, qui se réunissent pour la première véritable séance publique du mouvement dada au Cabaret Voltaire de Zürich le 14 juillet 1916, est tout épouvantée par les carnages de la Grande Guerre. Mais Tristan Tzara, le jeune juif roumain (même s'il fut un bref temps tenté par le communisme et même par le réalisme soviétique !), veut bien à l'instar de ses amis réinventer le langage, il ne désire aucunement changer le monde, ne croit ni ne s'intéresse aux progrès de l'humanité, encore moins à la postérité (on songe soudain à d'autres Franco-Roumains irrésistibles, Cioran et Ionesco). Tzara, malgré ses chahuts, pose souvent à l'indifférent, à quelque chose comme un révolté bouddhiste si l'on ose ce paradoxe, un genre qui ne lui faisait guère peur d'ailleurs puisqu'en exergue à l'un de ces textes, il cite cette phrase : «Je ne veux même pas savoir qu'il y a eu des hommes avant moi.» Suprême ironie, elle est de Descartes, l'antidada par excellence. On est ébloui par la surabondance des oeuvres présentées dans l'exposition. Elles sont inégales ; il y a, sans doute, un peu trop de manuscrits et l'on regrette qu'elle ne propose qu'une copie de la Mariée mise à nu par ces célibataires, même, oeuvre emblématique de Marcel Duchamp, cela dit remarquablement reconstituée par le Moderna Museet de Stockholm.«Dada tourne en rond», dit BretonCertains s'étonneront que dada s'éteignît si vite. Dès les années 20, dada s'essouffle puis se délite. Il n'était pas fait pour durer, pour devenir une institution. Ses fondateurs n'y songeaient même pas. Les surréalistes, dont beaucoup d'anciens dadas – mais c'est une grande erreur de penser que le mouvement d'André Breton, chahuteur certes à ses heures, mais si inquisiteur, si soucieux de syntaxe impeccable, de beautés inaccessibles en ait été l'enfant –, rompent avec le joli papillon. L'auteur de Nadja trouve que «dada tourne en rond». Tzara, dont Aragon disait que ses «Vingt-cinq poèmes l'avaient soûlé toute sa vie», Tzara qui fut fort admiré par... Anna de Noailles et pas seulement parce qu'elle aussi était d'origine roumaine, meurt, presque dans l'oubli en 1963.La fin de la vie du grand agitateur Tristan fut paisible. Il lisait beaucoup l'un de ses poètes préférés : François Villon. On lit encore sa merveilleuse préface dans les éditions de poche de Gallimard. Ceci, entre autres, qui lui va si bien : «Villon s'insurge contre la vilenie des hommes.»n Jusqu'au 9 janvier 2006. Tous les jours (sauf le mardi) de 11 heures à 21 heures. Galerie 1, 6e étage. Nocturnes les jeudis jusqu'à 23 heures. Nombreuses animations, rencontres, etc. Cette exposition doit beaucoup à PRP et Yves Saint Laurent et est organisée avec la National Gallery of Arts de Washington et avec le MoMa de New York.
