Visite Crispations et désaccords se multiplient entre MM. Bush et Poutine En juin 2001, George Bush proposait à Vladimir Poutine de "faire l'Histoire ensemble". Quatre ans plus tard, les relations entre les deux hommes se sont détériorées et les critiques s'expriment tant à Washington qu'à Moscou. M. Poutine n'accepte pas les accusations de dérive autoritaire de son régime et n'entend pas remettre en cause ses collaborations avec la Syrie et l'Iran en matière de nucléaire ou d'armements. Moscou soupçonne également Washington de chercher à l'affaiblir dans l'espace ex-soviétique. Les contentieux n'ont cessé de croître ces dernières années, laissant en panne plusieurs projets dans le secteur pétrolier. Dans un entretien au "Monde", l'ancien dissident Vaclav Havel analyse l'évolution du pouvoir russe. "La Russie sera toujours un autre monde", dit-il, mettant en garde les Occidentaux.Moscou de notre correspondanteVladimir Poutine s'attend, à la veille de sa douzième rencontre avec George Bush, à des remontrances concernant l'évolution politique de la Russie. Mais celles-ci seront faites "avec tact", estiment les commentateurs proches du Kremlin, afin de ne pas réduire à zéro le "partenariat stratégique" russo-américain proclamé en 2002, qui a comme points d'orgue la lutte contre le terrorisme, et l'idée qu'un jour du pétrole de Sibérie puisse alimenter abondamment les pompes à essence américaines. La rencontre qui se tiendra entre les présidents américain et russe à Bratislava, jeudi 24 février, s'ouvre dans un contexte détérioré, loin des espoirs d'alliance solide caressés pendant le premier mandat des deux présidents.L'image de M. Poutine s'est dégradée aux Etats-Unis, pour plusieurs raisons : les mesures politiques prises par le Kremlin pour concentrer de nouveaux pouvoirs ; l'ingérence russe en Ukraine à la veille de la "révolution orange" ; le démantèlement de la société pétrolière Ioukos, perçu à Washington comme un coup porté au "dialogue énergétique" bilatéral ; la multiplication de propos agressifs à l'égard des Etats-Unis, que M. Poutine a notamment accusés d'agir comme un "oncle sévère coiffé d'un casque colonial".George Bush, qui a placé son second mandat sous le signe de la lutte pour "la liberté et la démocratie", pourra difficilement se permettre, comme il l'avait fait lors de leur première rencontre en juin 2001 à Ljubljana, de dire qu'il a "vu l'âme" de son interlocuteur, et lui proposer de "faire l'Histoire ensemble". Dans un entretien accordé au journal Izvestia à la veille de sa venue en Europe, le président américain a bien continué de parler de son "ami Vladimir", mais les sujets de friction se sont multipliés. M. Bush a déclaré qu'il demanderait à son interlocuteur "les raisons pour lesquelles il a agi de telle ou telle façon".Le président russe a pour sa part fait savoir, mardi, qu'il n'entendait pas qu'on lui fasse la leçon en matière de démocratie. Parlant à des journalistes slovaques, M. Poutine a mis en garde contre toute tentative "d'utiliser cette problématique comme un instrument pour faire de la Russie quelque chose d'amorphe", ou pour la "manipuler d'une manière ou d'une autre", ajoutant que, "dans les pays de prétendue démocratie développée, il y a aussi beaucoup de problèmes".Les chaînes d'Etat ont amplement diffusé ces extraits, préférant en revanche maintenir le téléspectateur russe dans l'ignorance de ce que, exactement, George Bush pourrait formuler comme reproches. Les propos tenus par le président américain à Bruxelles, annonçant qu'il allait rappeler à M. Poutine que "les démocraties sont fondées sur l'état de droit, le respect des droits de l'homme, de la dignité humaine, et la liberté de la presse", ont été omis des retransmissions. Pour M. Poutine, qui fait face à une vague de mécontentement social dans son pays, il importe de retirer de la rencontre de Bratislava un succès en termes d'image : montrer qu'il est traité en partenaire et non en fautif source de déceptions.Si M. Bush ne pourra faire l'économie de remarques sur le raidissement du régime russe, les questions de sécurité devraient dominer l'agenda. Par des effets d'annonce sur l'Iran et la Syrie, à la veille de ce sommet, Vladimir Poutine a tenté d'élargir sa marge de manœuvre, rappelant en filigrane une certaine capacité de nuisance russe. Le Kremlin a en outre courtisé, fin 2004, la Chine et l'Inde comme interlocuteurs importants, notamment dans la sphère énergétique, s'attachant à montrer qu'il ne concevait pas la relation nouée avec les Etats-Unis après le 11 septembre 2001 en termes d'exclusivité.Toutefois, le point le plus sensible, pour Vladimir Poutine, consiste à contrer le sentiment d'un nouveau recul géopolitique russe dans ce que Moscou considère comme son pré carré, l'espace ex-soviétique. Les renversements de régime en Géorgie et en Ukraine ont mené à une nouvelle crispation nationaliste russe, axée sur la conviction d'être peu à peu expulsé de sa zone traditionnelle d'influence. Avant de voir M. Poutine, George Bush s'est entretenu à Bruxelles avec le nouveau président ukrainien Viktor Iouchtchenko, réaffirmant son soutien au rapprochement de Kiev avec les structures euro-atlantiques.Vladimir Poutine a récemment dépêché son ministre des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, en Géorgie et en Ukraine, pour tenter de raccommoder des relations traversant une mauvaise passe. Le Kremlin est nerveux à l'idée qu'un processus de "révolutions permanentes" soit en cours dans son proche voisinage.La secrétaire d'Etat américaine Condoleezza Rice a annoncé un programme de soutien large aux organisations non gouvernementales dans les républiques ex-soviétiques, y compris en Russie. La Russie semble maintenant chercher à accréditer l'idée qu'elle sera, malgré les désaccords sur le rôle de l'OSCE et la présence des soldats russes en Géorgie et en Moldavie, un interlocuteur constructif sur les pourtours de son ancien empire.La question est de savoir quel rôle les Etats-Unis sont disposés à lui confier. Des doutes s'expriment à Washington sur la nature réelle de la contribution russe à la lutte contre la prolifération (contrôle aléatoire des matières radioactives russes), et aussi sur la capacité de M. Poutine à stabiliser la région du Caucase du Nord, perçue comme un terreau pour terroristes islamistes. Au-delà des images souriantes que ne manquera pas d'apporter le sommet de Bratislava, M. Poutine peut avoir des raisons de craindre d'être considéré par Washington comme un allié amoindri.Le principal acquis du "partenariat stratégique" proclamé en 2002 par MM. Bush et Poutine à Moscou aura été, au bout du compte, la signature d'un traité bilatéral sur le désarmement nucléaire, tandis que des troupes américaines se déployaient dans le Caucase et en Asie centrale, et que l'OTAN s'élargissait. La question de la réalité de la "puissance" russe se pose. En dépit de ses taux de croissance, la Russie continue d'avoir un PIB équivalant à celui des Pays-Bas, et l'espérance de vie chez les hommes y est proche de celle du Soudan.Natalie NougayrèdeIran, Syrie et Corée du Nord au menuLa coopération nucléaire russe avec l'Iran figurera au menu de la rencontre entre MM. Bush et Poutine. Les Etats-Unis considèrent que Moscou fournit une couverture dangereuse aux ambitions de Téhéran de se doter de l'arme atomique. M. Poutine s'est dit "convaincu", la semaine dernière, qu'un tel risque n'existait pas. La Corée du Nord devrait également être évoquée, pays où s'est récemment rendu un proche du président russe, le chef du géant énergétique Gazprom. La relance de l'assistance militaire russe à la Syrie, avec des ventes prévues de missiles antiaériens Strelets, a suscité des inquiétudes aux Etats-Unis et en Israël, en dépit des assurances de Vladimir Poutine, selon lequel il s'agit seulement d'armements "défensifs".Le seul document devant être signé à Bratislava est un accord bilatéral renforçant les contrôles sur les missiles sol-air portables, susceptibles de tomber entre les mains de groupes armés en Irak. - (Corresp.)
