Annonce Conflit social - SNCM: les stigmates d'une longue galère Après 24 jours de conflit, les grévistes ont voté la reprise du travail. Qui sont les gagnants et les perdants? Bilan. Dominique de Villepin peut souffler. Les grévistes de la Société nationale Corse-Méditerranée menacée de dépôt de bilan ont voté hier à Marseille la reprise du travail, après vingt-quatre jours de conflit pour protester contre la privatisation de la compagnie. 519 marins et sédentaires ont voté à bulletin secret pour la reprise, 73 contre (lire ci-contre). Le Syndicat des travailleurs corses (nationaliste), majoritaire parmi les quelque 800 salariés de la SNCM résidant dans l'île, a appelé, «malgré lui», à reprendre le travail, se sentant «trahi» par la CGT. Les syndicats minoritaires, FO, CFE-CGC, CFDT et les syndicats d'officiers avaient déjà fait de même ces trois derniers jours. Les rotations des bateaux peuvent donc reprendre dès aujourd'hui. L'Etat devrait demeurer à hauteur de 25 % dans la SNCM, les salariés obtenant 9 %, le fonds d'investissement Butler Capital Partners 38 % et la société de transport Connex 28 %. Le projet de reprise prévoit 400 suppressions d'emploi sans licenciement sec, sur les 2 400 personnes employées. Tour d'horizon des gagnants et des perdants après trois semaines de grève. Le gouvernement Villepin souffle, les autres souffrent Le Premier ministre se sort plutôt bien d'un dossier explosif. Dès l'annonce de la reprise du travail connue, Dominique de Villepin n'a pas caché son soulagement: «C'est une bonne nouvelle pour la société, bien sûr, c'est une bonne nouvelle pour Marseille, pour l'ensemble de la région et c'est une bonne nouvelle aussi pour la Corse», a-t-il déclaré devant le grand patronat réuni aux 3es Rencontres de la croissance, organisées à Paris par l'institut Rexecode. Il aurait pu ajouter: «C'est une bonne nouvelle pour moi.» En choisissant le fonds d'investissement Butler comme racheteur principal à 100 %, il a commencé par commettre une énorme erreur, conseillé dans cette voie par le ministre de l'Economie, Thierry Breton. La nonchalance du ministre des Transports, Dominique Perben, qui n'a pas été assez à l'écoute des syndicats, selon ces derniers, n'a pas arrangé la situation. Il a fallu l'arraisonnement du Pascal-Paoli par les marins du STC pour que Villepin annonce un nouveau montage financier dans lequel l'Etat conserve une partie du capital. Ressuscitant un vieux classique gaulliste, il fait de la CGT son interlocuteur privilégié, recevant Bernard Thibault à Matignon avant de négocier tout au long du week-end dernier avec la centrale. Puis, Villepin s'efface de nouveau, laissant ses ministres Breton et Perben prendre les coups à Marseille. Si le chef du gouvernement pouvait donc se réjouir hier, il a tout de même eu l'élégance de «remercier et saluer l'action remarquable qui a été menée par Thierry Breton et Dominique Perben». Ces deux derniers sortent affaiblis du conflit. Lundi encore, les syndicats les ont rendus responsables de l'enlisement des discussions. Nicolas Sarkozy ne pourra pas non plus retirer de lauriers de la résolution de ce bras de fer. Le ministre de l'Intérieur, concerné par la partie corse de l'affaire, a semblé à contre-temps. Ainsi, était-il en déplacement à la Réunion lorsque les marins de la SNCM ont détourné un navire. De là, il commente le revirement de Villepin, qui est passé d'une privatisation de 100 à 75 %: «J'avais une autre solution, on ne me l'a pas demandé.» Il propose que l'addition de la participation de l'Etat et des salariés atteigne la minorité de blocage, ce qui sera finalement le cas. La CGT Une bataille perdue Pour la centrale, c'est à l'évidence une défaite: la centrale a perdu une bataille dans un de ses bastions syndicaux, et sur un point fort de la culture cégétiste, les services publics. Le combat mené pour obtenir de l'Etat qu'il garde la majorité dans le capital de la SNCM avait un enjeu national, voire européen: sauver l'idée selon laquelle un service public ne peut être valablement exécuté que par une entreprise nationalisée. Pour la CGT, c'était le «service public à la française», qui s'oppose au consensus à l'oeuvre dans d'autres pays, selon lequel l'Etat délègue au privé un «service d'intérêt général», selon un cahier des charges. Reste à savoir qui, au sein du syndicat, portera la responsabilité d'une telle déconvenue. A la CGT marseillaise, les marins de la SNCM sont réputés incarner les «durs» du syndicat. Ils sont quasiment en opposition avec la ligne confédérale et le leadership de Bernard Thibault. Nul doute qu'ils mettront en cause le secrétaire général, qui a refusé le week-end dernier de céder à la «généralisation du conflit» que lui réclamaient les marins de la SNCM. Pour tenter de reprendre la main, Bernard Thibault pourrait au contraire faire valoir que les méthodes proposées par les radicaux sont vouées à l'échec. Le débat ne fait que commencer: il culminera lors du congrès de la CGT, en avril, au cours duquel Thibault, déjà mis en minorité par l'appareil de la CGT lors du référendum sur la Constitution européenne, est candidat à sa succession. Le STC Le syndicat corse sur le front social Le Syndicat des travailleurs corses sort, paradoxalement, gagnant d'un conflit... perdu. «La CGT veut reprendre le travail, alors nous reprenons le travail malgré nous, face à une mascarade, une manipulation parisienne et ses relais locaux de la CGT à Marseille, qui se sont mis à genoux devant le gouvernement», a accusé hier Alain Mosconi, le patron de la branche marins. Le STC, qui a pris la place de première force syndicale de l'île, lors des prud'homales de 2002, n'avait pas besoin de ce conflit pour prouver son existence. «Mais il nous a permis de reposer la question sociale sur l'île et d'organiser des manifestations qui dépassaient largement le strict cadre syndical», explique Etienne Santucci, ancien secrétaire général du STC. Le syndicat en a profité pour remettre au goût du jour la vieille revendication nationaliste de création d'une compagnie maritime régionale. La grève de la SNCM a aussi permis à la mouvance nationaliste, qui marquait le pas depuis les élections territoriales de 2004, de revenir au-devant de la scène. Lors des Journées de Corte, en août, Indipendenza s'était interrogée sur la nécessité de s'atteler à la question sociale. «On avait un peu anticipé», estime François Sargentini, porte-parole d'Indipendenza, toutefois sans illusion: «Le conflit de la SNCM ne changera pas la donne politique sur l'île. La situation politique était congelée avant, elle le reste après.»