Annonce Comores : les rebelles de l'île d'Anjouan défient les troupes de l'Union africaine Au bout de la plage noirâtre encombrée de débris, la mer est plate comme une piste d'envol vers l'ailleurs. D'Anjouan, île autonome de l'archipel des Comores, c'est ici, à Bambao, que l'on fuit d'ordinaire le "paradis tropical" comorien sans emploi, sans perspectives, sans stabilité (dix-neuf tentatives de coups d'Etat en trente ans depuis l'indépendance en 1975), à destination de Mayotte, dont le sommet ennuagé se dresse sur la ligne d'horizon. Mayotte, à deux heures de mer, autre confetti de l'archipel (quatre îles), mais confetti demeuré français. Les ruines du palais du dernier sultan des Comores, Abdallah III, surmontent la plage d'embarquement des clandestins. Ces jours-ci, le trafic est interrompu. L'archipel hésite à basculer dans la guerre civile. Depuis que le président de l'île autonome, le colonel Mohammed Bacar, ex-commandant de gendarmerie, a décidé d'organiser en juillet, contre l'avis du président de l'Union des Comores, Ahmed Abdallah Sambi, une élection présidentielle sans observateurs étrangers qui l'a maintenu au pouvoir, la tension est montée jusqu'au point de rupture entre Anjouan et le gouvernement fédéral. En janvier, Ahmed Abdallah Sambi, surnommé "l'ayatollah" par ses détracteurs annonçait son intention d'agir "incessamment pour restaurer l'intégrité de l'Etat comorien", en d'autres termes d'organiser un débarquement des troupes de l'Union pour chasser Mohammed Bacar du pouvoir. Il a reçu le soutien militaire de l'Union africaine, qui a dépêché à Moroni, sur la Grande Comore, des troupes tanzaniennes et soudanaises (environ 1 100 hommes), avec l'appui de la Libye et de la France, malgré l'opposition ouverte de l'Afrique du Sud. Deux mois plus tard, 400 hommes de l'Armée nationale de développement, les forces fédérales, campent sur l'île de Mohéli, à deux heures de mer d'Anjouan. Ils attendent l'ordre de partir à l'assaut en luttant contre l'ennui et les moustiques, et organisent des incursions sur les côtes d'Anjouan. Dimanche, une volée d'obus de mortiers a été tirée par les forces de l'Union. A Anjouan, le colonel Bacar promet de "mourir" les armes à la main, accuse le président Sambi de vouloir "s'ériger en monarque" et met en garde : "Même la grande Russie n'est pas venue à bout de la Tchétchénie. Ce sont des envahisseurs, on les combattra jusqu'aux derniers." Il suggère d'organiser "une table ronde" pour trouver une solution négociée. Hypothèse rejetée par le pouvoir central à Moroni qui promet de l'arrêter et de le poursuivre en justice. Selon des estimations indépendantes, le colonel Bacar doit pouvoir compter sur environ 600 hommes (il en revendique plus de mille), dont une partie de miliciens. L'un d'entre eux, ancien caporal-chef de la Garde présidentielle lorsqu'elle était dirigée par le mercenaire français Bob Denard, fondu dans la population au sud de l'île, face à l'un des points d'assaut possibles, guette l'arrivée des Zodiac fédéraux. En 1997, au début de l'aventure sécessionniste d'Anjouan, les forces du gouvernement central avaient déjà organisé un débarquement, qui s'était soldé par une défaite en raison de l'hostilité de la population aux soldats de la Grande Comore. "Nous étions unis, à cette époque", soupire l'ex-caporal chef, qui avoue faire du "renseignement" pour surveiller la mer et la population par la même occasion. Chaque camp a accusé l'autre d'avoir mené des campagnes d'arrestations et de tortures. A Bambao, Mohammed Ahmed, professeur de philosophie, dit avoir été arrêté et torturé : "La population vit dans la peur. On ne peut même pas converser entre nous. Il faut un débarquement." Il se hasarde : "En cas de débarquement, il y aura des vengeances. Je sais qui m'a torturé. Je vais tout faire pour l'éliminer." Peut-être n'est-ce là qu'une bravade, Mohammed Ahmed en convient lui-même : "Dans l'île, dès qu'il y a un mort, tout le monde pleure. Dans d'autres pays, il y a des rébellions mais nous, nous avons beaucoup trop peur de mourir."