Nouveau/elle Comment réparer une vessieLes biotechnologies vont-elles apporter un changement majeur dans la réponse à des pathologies touchant la vessie et, demain, d'autres organes creux ? Les travaux de l'équipe du docteur Anthony Atala, de l'université de Fort Wake, en Caroline du Nord (Etats-Unis), le laissent penser. Son équipe a mis au point une méthode pour produire des vessies fonctionnelles par ingénierie tissulaire, qui a fait l'objet d'une publication, le 4 avril, sur le site de la revue britannique The Lancet.Jusqu'ici, lorsqu'il est nécessaire de remplacer une partie de la vessie ou d'en augmenter la taille, soit en raison d'une anomalie, soit du fait d'une blessure, les chirurgiens utilisent des portions de tissu intestinal, généralement un morceau de côlon. Ce procédé, quasi centenaire, est la technique de référence. Mais, outre qu'il suppose que le tissu intestinal soit normal, il n'est pas rare que surviennent des complications sous la forme d'adhérences des tissus, de perturbations métaboliques, de calculs urinaires, ou liées aux sécrétions de la muqueuse digestive. Les autres tissus de l'organisme et les matériaux synthétiques expérimentés n'ont pas permis d'aboutir à des résultats satisfaisants. De ce fait, la mise au point d'une nouvelle technique serait la bienvenue si elle permettait d'obtenir de meilleurs résultats.L'équipe d'Anthony Atala a eu recours à la bioingénierie. Expérimentée chez le chien, cette technique consiste à prélever des cellules vésicales du sujet, ce qui évite les rejets de greffon, puis à les dissocier afin de séparer les cellules de la paroi des cellules musculaires. Ces cellules sont ensuite mises en culture sur les deux faces d'une matrice en collagène, qui sert de moule biodégradable, les cellules musculaires étant ensemencées à l'extérieur.Des essais chez l'animal avaient montré que les nouvelles vessies greffées évoluaient vers la normale, que ce soit sur le plan anatomique ou fonctionnel. D'autres travaux avaient mis en évidence le fait que le tissu musculaire produit par ce type de procédé était génétiquement et fonctionnellement normal, qu'il provienne de vessies normales ou de vessies pathologiques. Cela pourrait signifier que les cellules de vessies anormales pourraient néanmoins posséder un potentiel de développement vers la normale.Grâce à la coopération avec des chirurgiens urologues de l'hôpital pour enfants de Boston et de la faculté de médecine d'Harvard, les vessies produites par l'équipe du docteur Atala ont été greffées chez les sept jeunes patients, âgés de 4 à 19 ans, chez qui des cellules avaient été prélevées. Ces malades souffraient d'une maladie invalidante, puisqu'elle provoquait des fuites urinaires parfois toutes les 30 minutes. Les deux tiers de la vessie pathologique ont été retirés, et le greffon fixé par des sutures au tiers restant. "Nous utilisons la vessie du patient comme base pour fixer le greffon de nouveau tissu. Le grand avantage de procéder ainsi, plutôt qu'au remplacement complet de la vessie, est que les urètres, les canaux excréteurs qui partent de la vessie pour éliminer l'urine, sont déjà en place", explique le docteur Atala.La nouvelle vessie a été recouverte d'une colle biologique à base de fibrine, principal composant des caillots sanguins, et d'un morceau de la membrane qui drape l'intestin dans la cavité abdominale. En général, 7 à 8 semaines se sont écoulées entre le prélèvement de cellules et la greffe, la phase de culture des cellules prenant généralement six semaines.En dehors d'une mycose urinaire jugulée par un traitement approprié chez l'un des opérés, il n'y a pas eu de complications. Après plusieurs années de suivi, la fonction vésicale des patients a été améliorée, "de manière similaire à ce qui est observé pour les greffes utilisant du tissu intestinal", indiquent les auteurs. La capacité de la vessie à se remplir et sa contenance ont été augmentées."Nous disposons à présent d'un recul de six années pour ce type d'opérations et nous allons procéder à de nouveaux essais d'ici à la fin de l'année", confie le docteur Atala. Pour l'urologue américain, la technique a un bel l'avenir. "Nous prévoyons d'élargir les indications pour ce type de greffe autologue de vessie à des patients présentant d'autres types de pathologies. Parallèlement, nous travaillons à adapter la technique d'ingénierie tissulaire à d'autres organes, et je peux vous dire que pour certains nous en sommes au stade d'essais précliniques", indique-t-il.Pour savoir si le docteur Atala et son équipe ont accompli une percée, il faudra étayer ces premiers résultats et démontrer que l'amélioration obtenue chez les malades est bien au moins égale à celle réalisée par la technique traditionnelle à base de greffon intestinal ou tout au moins qu'elle présente moins de risques de complications.
