Mort de Claude Terrail Le

Mort Claude Terrail Le drapeau bleu et rouge frappé d'une tour qui flotte au-dessus de La Tour d'argent au 15-17, quai de la Tournelle, à Paris (5e), lorsque son propriétaire est chez lui, est en berne : Claude Terrail est mort jeudi 1er juin à l'âge de 88 ans. C'est une figure majeure de la gastronomie parisienne qui disparaît après soixante années d'une présence constante à la tête du plus célèbre et de l'un des plus anciens restaurants français, connu dans le monde entier. La Tour d'argent doit son nom à une tour de l'enceinte de Philippe Auguste construite en pierre champenoise pailletée de mica qui brillait au soleil couchant, d'où son nom de tour d'argent. L'auberge la plus proche est réputée, dès le XVIe siècle, pour son pâté de héron, dont Henri IV se régale. Ainsi naît le mythe de La Tour d'argent, devenue un véritable restaurant seulement en 1780. Il fut pris d'assaut le 14 juillet 1789 par les émeutiers de retour de la Bastille, qui confondent le blason du restaurant avec des armoiries princières. C'est Frédéric Delair, un siècle plus tard, en 1890, qui, avec l'usage de numéroter les canards, assure au restaurant et à sa recette de canard au sang, inchangée depuis lors, une notoriété qui ne fera que grandir. André Terrail, le père de Claude Terrail, achète La Tour d'argent au grand Frédéric en 1912. Blessé au front, prisonnier, évadé, il rouvre La Tour d'argent en 1916, et accueille ses clients l'oeillet à la boutonnière. C'est son fils Claude (né le 4 décembre 1917) qui parachèvera les travaux entrepris et donnera, à partir de 1947, un éclat singulier à ce que d'aucuns appellent la troisième tour de Notre-Dame. Claude Terrail voulait être comédien. Il sera le metteur en scène d'une pièce jouée chaque jour avec une conviction que l'âge et la maladie n'ont pas altérée jusqu'à ces dernières semaines. Et pourtant les vicissitudes ne lui auront pas été épargnées lorsque, réquisitionné en 1940, le restaurant devra rester ouvert pendant toute l'Occupation. La liste des bénéficiaires de canards numérotés se fait alors discrète. Entre le canard numéro 147 844, dégusté par le duc de Windsor en 1938, et celui (numéro 185 397) dévolu, dix ans plus tard, à la princesse Elizabeth, connaîtra-t-on jamais les bénéficiaires des 37 513 canards inconnus des années de guerre ? Mais son engagement volontaire dans la 2e division blindée vaut à Claude Terrail la croix de guerre 1939-1945 et la croix de la valeur militaire. Les années d'après-guerre voient les personnalités des arts, des lettres, du cinéma et de la politique du monde entier défiler quai de la Tournelle. La Tour d'argent avait sa place dans la première promotion des trois étoiles au Guide Michelin, accordées pour la première fois en 1933. Elle perdra une étoile en 1952, récupérée l'année suivante. En 1996, nouvelle sanction et en 2006, quelques mois avant sa mort, le Guide Rouge, contre toute attente, enlevait une deuxième étoile à un Claude Terrail déjà atteint par le mal qui devait l'emporter. La question de l'avenir de La Tour d'argent se pose comme à d'autres établissements prestigieux, Lasserre en particulier, dont le fondateur est mort cette année également. Faut-il maintenir et ne rien changer lorsqu'on a changé d'époque et de public ? C'est le dilemme qu'aura à résoudre le jeune André, 26 ans, fils de Claude Terrail et de Tarja, sa dernière épouse. Dans Ma Tour d'argent (Stock, 1974), Claude Terrail écrivait : "Mon père m'avait simplement dit qu'il faudrait bien un jour poursuivre son oeuvre, "maintenir" La Tour d'argent, c'est-à-dire la renouveler indéfiniment."