Mort de Claude Simon
Mort Claude Simon, un "arbre" littéraire enraciné dans l'HistoireClaude Simon, l'un des plus grands écrivains du temps et de la mémoire, lauréat du prix Nobel de littérature en 1985, est mort à Paris, mercredi 6 juillet. Il était âgé de 91 ans. Les éditions de Minuit ont annoncé ce décès samedi 9 juillet, peu après l'inhumation de l'écrivain au cimetière de Montmartre, à Paris.BibliographieLe Tricheur (éd. du Sagittaire, 1945, et Minuit, 1946).La Corde raide (éd. du Sagittaire, 1947).Gulliver (Calmann-Lévy, 1952).Le Sacre du printemps (Calmann-Lévy, 1954, Le Livre de poche, no 4001).Le Vent : tentative de restitution d'un retable baroque (Minuit, 1957).L'Herbe (Minuit, 1958, et Minuit "Double", avec une postface d'Alastair B. Duncan).La Route des Flandres (Minuit, 1960).Le Palace (Minuit, 1962, et 10/18, no 528).Femmes : sur vingt-trois peintures de Joan Miro (éd. Maeght, 1966).Histoire (Minuit, 1967, Gallimard, "Folio", no 388).La Bataille de Pharsale (Minuit, 1969).Orion aveugle (éd. Skira, 1970).Les Corps conducteurs (Minuit, 1971).Triptyque (Minuit, 1973).Leçon de choses (Minuit, 1975).Les Géorgiques (Minuit, 1981).La Chevelure de Bérénice (Minuit, 1984).Discours de Stockholm (Minuit, 1986).L'Invitation (Minuit, 1987).L'Acacia (Minuit, 1989).Photographies (éd. Maeght, 1992, préface de Denis Roche).Correspondance Jean Dubuffet-Claude Simon (1970-1984) (éd. L'Echoppe, 1994).Le Jardin des Plantes (Minuit, 1997).Le Tramway (Minuit, 2001). SUR CLAUDE SIMONLes Romans de Claude Simon, de Stuart Sykes (Minuit, "Arguments", 1979).Sur Claude Simon, de Jean Starobinski, Georges Raillard, Lucien Dällenbach et Roger Dragonetti (Minuit, 1987).Claude Simon, de Lucien Dällenbach (Minuit, "Le Contemporain", 1988).Lire Claude Simon, la polyphonie du monde, de Patrick Longuet (Minuit, 1995).Critique, no 414 (novembre, 1981), "La Terre et la guerre dans l'œuvre de Claude Simon".Revue des sciences humaines, no 220 (oct.-déc. 1990), "Claude Simon". SITES INTERNET adpf.deleg.oxymium.net/adpf-publi/folio/simonperso.wanadoo.fr/labyrintheremue.net/cont/simon.html[-] fermerA Stockholm, en 1985, au cours de la cérémonie de remise du prix Nobel, l'académicien suédois Lars Gyllensten employait une métaphore biologique pour définir l'écriture de Claude Simon : "La langue se met à vivre sa propre vie. Les mots et les descriptions s'engendrent mutuellement. Le texte pousse comme si la langue était un organisme vivant indépendant qui bourgeonne, produit des rameaux et sème ses propres graines, et comme si l'auteur n'était que l'instrument ou l'intermédiaire de cette force créatrice." Un arbre, voilà Claude Simon, l'homme et l'œuvre confondus à un degré rare : l'homme se résorbant entièrement dans ses livres - au point de refuser toute tentative biographique ; les livres se nourrissant exclusivement de sa vie d'homme, de sa mémoire sans cesse réexplorée et recréée par la langue.Dès 1947, dès son deuxième livre, La Corde raide, Claude Simon se faisait explicitement arbre. Le livre se termine ainsi : "Immobile dans la nuit, à regarder la hasardeuse disposition des fenêtres allumées, rectangles peints en jaune orangé (...), écoutant l'arbre palpiter et s'ouvrir, pousser ses ramures à travers moi, m'emplissant les mains de ses feuilles, m'emplissant de sa voix chuchoteuse, les voix de ceux qui n'ont pas encore vécu, celles de ceux qui ont fini de vivre, les mêmes voix, les mêmes présences, toutes celles qui m'ont tellement donné, celle qui m'a donné la vie, celles qui m'ont donné la tendresse de leurs chairs, celles qui m'ont aimé, celle qui m'a trop aimé. Les branches passent à travers moi, sortent par les oreilles, par ma bouche, par mes yeux, les dispensant de regarder et la sève coule en moi et se répand, m'emplit de mémoire, du souvenir des jours qui viennent, me submergeant de la paisible gratitude du sommeil." La chronologie d'un homme, c'est le contraire de sa vie, un plat squelette de dates et d'événements. Chaque livre de Claude Simon est une manière d'arracher sa vie à l'illusion chronologique, à en fonder la réalité. La naissance, le 10 octobre 1913, à Tananarive où son père était officier colonial. La mort du père, sur le front, à la fin de 1914 et, en 1919, l'opiniâtre recherche de son corps entreprise par la mère et son gamin dans les villages ruinés de la frontière belge.Usée de chagrin, la mère meurt à son tour et l'enfant est élevé par ses deux tantes qui possèdent quelques vignes à Salses, dans cette Catalogne française qui demeurera la terre de Simon, le lieu de son appréhension passionnée des liens de l'homme et de la nature. Pension et études secondaires à Paris, au lycée Stanislas, puis à Oxford et Cambridge. Amour de la peinture qui le conduit à l'atelier d'André Lhote. "Mais maintenant plus personne ne peut être peintre sans ridicule à cause de Picasso." Claude Simon fera de la photographie. Il voyage dans toute l'Europe au cours de ces tumultueuses années 1930. En Allemagne, en URSS, en Italie, en Grèce, il essaie, déjà, de comprendre ce qu'est l'histoire concrète. Il la rencontre, un instant, à Barcelone, en 1936, où il s'occupe de fourniture d'armes aux républicains espagnols. Il en garde un goût de désastre.En 1940, le cavalier Claude Simon du 31e dragons est lancé avec ses camarades à l'assaut des tanks et de l'aviation allemande sur la route des Flandres. Il sera le seul survivant de cette équipée dérisoire et criminelle décidée par l'état-major. Fait prisonnier, il s'évade d'Allemagne et réussit à rejoindre Salses (Pyrénées-Orientales). Dans la maison des vignes, il compose en quelques mois son premier livre, Le Tricheur, qui ne paraîtra qu'en 1945 aux éditions du Sagittaire. Comme l'écrit alors Maurice Nadeau dans Combat, " Le Tricheur, achevé en 1941, eût pu paraître en même temps que L'Etranger, et on eût sans doute à ce moment discuté des mérites respectifs des deux ouvrages. C'est un livre remarquable." L'arbre encore : tous les thèmes qui se retrouveront dans l'œuvre de Claude Simon, toutes les images mères à partir desquelles se développent ses floraisons narratives, sont déjà présents dans Le Tricheur, comme de jeunes pousses. Toutes, y compris l'exergue du roman emprunté à Littré : "Corriger le hasard : tricher". Ce qu'on rapprochera de cette autre phrase prononcée près de cinquante ans plus tard dans son Discours de Stockholm : "Si le monde signifie quelque chose, c'est qu'il ne signifie rien - sauf qu'il est." L'écriture ne représente pas le monde, elle cherche à en exprimer laprésence. Mais le jeune écrivain n'a pas encore forgé l'outil de sa recherche. Il lui faudra plusieurs livres encore, jusqu'au Vent publié en 1957 aux éditions de Minuit, avant de se débarrasser des influences Faulkner, Joyce, Proust, autres romanciers du temps et de la mémoire qui pèsent sur ses premières œuvres en les intégrant dans sa langue propre.Avec Le Vent, avec L'Herbe, et plus encore les années suivantes avec La Route des Flandres, Le Palace et Histoire, l'œuvre de Claude Simon s'impose comme l'une des aventures littéraires les plus vastes entreprises depuis Proust. Démontant les carcans de la narration traditionnelle et de son réalisme de convention, traitant l'espace et le temps pour ce qu'ils sont non des réalités, mais de purs phénomènes vécus par une subjectivité, "un trouble magma d'émotions, de souvenirs, d'images" , une débâcle à laquelle l'écriture propose un ordre et un sens (à défaut de signification) , Claude Simon cherche à dire l'homme tel qu'il est, non tel qu'il se voit, se rêve ou s'invente.