Mort de Claude Julien
Mort Claude Julien, journaliste de conviction et de talentClaude Julien, mort vendredi 6 mai, fait partie de ces journalistes qui ont marqué l'histoire du journal Le Monde.Né le 17 mai 1925 à Saint-Rome-de-Cernon (Aveyron), Claude Julien fait ses débuts dans le journalisme à la Libération. A l'âge de 19 ans, il crée à Castres (Tarn), où il a participé à la Résistance, un journal dont le titre, Debout, résume aussi bien les enjeux de l'époque que le caractère de son rédacteur. Il quitte peu après la France pour étudier les sciences politiques à l'université Notre-Dame, à South Bend (Indiana), aux Etats-Unis. Il découvre alors l'Amérique de la ségrégation raciale et des luttes sociales acharnées, mais aussi de l'opulence et des violents contrastes entre riches et pauvres.Rentré en France, Claude Julien devient journaliste à La Vie catholique illustrée (1949-1951), puis rédacteur en chef de La Dépêche marocaine de Tanger. Chaudement recommandé à Hubert Beuve-Méry par Georges Hourdin, le directeur de La Vie catholique, il rejoint le service étranger du Monde en 1951.Claude Julien s'impose comme le spécialiste de l'Amérique du Nord. Ses reportages aux Etats-Unis tiennent en haleine les lecteurs. Ils lui donnent matière à écrire des ouvrages qui retracent l'évolution de la société américaine : Puissance et faiblesse des syndicats américains (1955) L'Amérique en révolution (1956), Le Nouveau Nouveau Monde (1960) ; pour mieux faire connaître cette société, il traduit les sermons en vers du pasteur James Weldon Johnson, (God's Trombones, sermons noirs, 1960).En 1959, devenu chef adjoint du service étranger, dont le chef était André Fontaine, il consacre une part croissante de son énergie à l'organisation des reportages des correspondants et des envoyés spéciaux, les fameuses "séries" qui décrivent pendant une semaine la vie des hommes et les problèmes d'un des pays du vaste monde. Quand le temps lui reste, il accomplit lui-même des périples, comme celui qu'il fit à Cuba à l'occasion du premier anniversaire de la révolution castriste, "Cuba, ou la ferveur contagieuse" (Le Monde du 17 au 23 mars 1960), qu'il publie en 1961 sous le titre La Révolution cubaine.Très intéressé par le Canada, qui lui apparaît comme un des bastions de résistance à l'impérialisme américain, il le parcourt pour Le Monde, ses reportages étant regroupés dans un livre, Le Canada, dernière chance pour l'Europe (1965). Mais son plus grand succès de librairie, Claude Julien le doit à sa parfaite connaissance des Etats-Unis dont il décrypte, en 1968, la volonté de puissance dans L'Empire américain, moins d'un an après le livre de Jean-Jacques Servan-Schreiber, Le Défi américain. Deux visions de l'Amérique s'affrontaient par journalistes interposés.En 1969, lorsqu'André Fontaine est appelé à la rédaction en chef par Jacques Fauvet, le directeur qui a la lourde charge de succéder au fondateur du Monde, Claude Julien est tout naturellement nommé chef du service étranger. Toutefois, en 1971, à la suite d'un accrochage avec le rédacteur en chef, Claude Julien prend une année sabbatique, puis il est nommé rédacteur en chef du Monde diplomatique en 1973.Fondé en 1954 par François Honti, ce mensuel s'adressait principalement aux chancelleries et aux ambassades. Claude Julien en fait un organe incisif qui offre à la fois des analyses fouillées des grands problèmes internationaux, sociaux, économiques et culturels, et des critiques qui n'épargnent personne. Sous sa direction, la diffusion du Monde diplomatique ne cesse de progresser : entre 1973 et 1990, elle passe de 50 000 à 150 000 exemplaires par mois.La réussite de Claude Julien le conduit à être candidat à la succession de Jacques Fauvet. Elu par la Société des rédacteurs du Monde, il est nommé cogérant de la SARL Le Monde en avril 1981. Toutefois, la Société des rédacteurs se déjuge quelques mois plus tard à la suite de la mise en cause par Claude Julien d'un rédacteur, accusé d'avoir divulgué à l'extérieur des informations tendancieuses. Contraint de se retirer en mai 1982, Claude Julien retourne au Monde diplomatique, dont il est nommé directeur, fonction qu'il occupe jusqu'à la fin de l'année 1990.Sous sa direction, le mensuel acquiert peu à peu son autonomie, d'abord au niveau rédactionnel, puis au niveau de sa gestion. Claude Julien obtient la création d'un conseil d'orientation, qui fait office de conseil d'administration ; son successeur, Ignacio Ramonet, est désigné par ce conseil d'orientation, puis Jean-Marie Colombani, directeur du Monde, procède à la filialisation du Monde diplomatique, qui poursuit dorénavant son itinéraire de manière autonome.Après son départ du Monde, Claude Julien, fondateur et président du Cercle Condorcet, instance de réflexion sur la laïcité, la citoyenneté et les droits de l'homme créée en 1986 par la Ligue française de l'enseignement et de l'éducation permanente, est élu président de la Ligue en 1990, poste qu'il occupe jusqu'en 1998.Homme de conviction et journaliste de talent, Claude Julien laisse le souvenir d'une forte personnalité, passionné par son métier et par les causes qu'il défendait.[Avec Claude Julien disparaît l'un de ces hommes de caractère et de conviction, l'un de ces journalistes incisifs et exigeants qui ont marqué l'histoire du Monde, puis du Monde diplomatique. Que sa famille et ses amis reçoivent l'expression de nos plus sincères condoléances. J.-M.C.]