Mort de Claude Esteban
Mort Claude Esteban, poèteProfesseur de littérature espagnole contemporaine à l'université de Paris-IV jusqu'en 1997, animateur et directeur, de 1973 à 1981, de la revue Argile et, de 1984 à 1993, de la collection "Poésie", qu'il avait créée aux éditions Flammarion, Claude Esteban est mort subitement, lundi 10 avril, à son domicile parisien. Il était âgé de 70 ans.Veilleurs aux confins : sous ce beau titre, Claude Esteban évoquait des amis peintres Sima, Tal-Coat, Vieira da Silva (Fata Morgana, 1978). L'expression conviendrait aussi pour saluer le rôle, discret mais décisif, de ce poète chaleureux à l'oeuvre multiple qui était rassembleur de poètes et d'artistes.D'une lourde opération chirurgicale, à la fin de l'été 2005, dont il semblait bien remis, il avait tiré Trajet d'une blessure : ensemble de textes brefs alternant avec de très courts poèmes - "Chronique d'un corps blessé", à paraître en mai aux éditions Farrago.Un cahier, L'Espace l'inachevé, sous la direction de Pierre Vilar, lui avait été consacré en 2003 (Farrago), par des poètes et des peintres, constituant un ensemble amical de "traces, figures, traversées".Le dialogue de la poésie et de la peinture est au coeur de l'oeuvre d'Esteban, depuis la somptueuse revue Argile, publiée par Maeght (comme l'avait été L'Ephémère). Bonnefoy, Dupin, du Bouchet, Daive, Hocquard, Veinstein y voisinaient avec Alechinsky, Lam, Zao Wou-Ki, Tal-Coat."Questionneur de poésie" (d'Un lieu hors de tout lieu, Galilée, 1979 à Etranger devant la porte, Farrago, 2001), Claude Esteban n'a cessé de s'interroger sur l'art. De Chillida (Maeght, 1972) à L'Ordre donné à la nuit (Verdier, 2005), autant de textes auxquels on pourrait joindre les proses de Soleil dans une pièce vide, autour de Hopper (Flammarion, puis Farrago 2003)."PAROLES TRANSPARENTES"Né le 26 juillet 1935 à Paris, d'une mère française et d'un père journaliste, républicain espagnol qui représentait en France une chaîne de journaux d'Amérique latine, Claude Esteban s'est expliqué dans "Traduire", l'avant- propos de ses Poèmes parallèles, et surtout dans une autobiographie linguistique, Le Partage des mots (Gallimard, 1990), sur le déchirement que peut produire dans l'enfance le bilinguisme - cette "névrose de Janus".L'Ecole normale supérieure et l'agrégation d'espagnol lui ont permis de donner sa dimension à cette langue, qu'il n'a cessé de traduire (des poètes du Siècle d'or espagnol à son ami Octavio Paz), par goût d'une parole partagée. Mais depuis les premiers textes, écrits à Tanger à l'âge de 24 ans, le français s'était imposé comme la langue de l'écriture personnelle. Il faudra un deuil pour que surgissent en espagnol les poèmes de Diario immovil.Après Morceaux de ciel presque rien (Gallimard, 2001, Goncourt de la poésie), son dernier recueil, Le Jour à peine écrit (1967-1992), qui vient de paraître chez Gallimard, est une somme, qui, en rassemblant de longues séquences de quatre livres majeurs, retrace un admirable parcours poétique : dans Terres, travaux du coeur (1979, Flammarion) s'affirme le désir de relier les éléments naturels au travail du coeur, des passions.Du livre Le Nom et La Demeure (Flammarion, 1985) proviennent trois séquences de poèmes et de courtes proses : "Conjoncture du corps et du jardin", où se poursuivent ces "géorgiques de l'improbable" ; "Le jour à peine écrit", qui donne son titre au recueil ; et "Prose dans l'île", qui se termine par une affirmation : "Je crois à ce qui nous relie, je crois à des paroles transparentes."Elégie de la mort violente (Flammarion 1989) émouvant livre de deuil à la mémoire de l'absente, disparue en "ce septembre qui ne cesse plus". Enfin, Quelqu'un commence à parler dans une chambre (Flammarion, 1995), lent retour à l'acquiescement, après le temps de l'opacité et du désespoir. Le livre se clôt sur une invocation à la lumière qui n'a "pas de lieu".