Annonce Cinq ans après sa création, la Cour pénale internationale va ouvrir sa première audience à La HayeLe 15 mars, la Cour pénale internationale (CPI) ouvrira sa première audience à huis clos. Les juges entendront le procureur sur son enquête en République démocratique du Congo (RDC). Près de deux ans après son entrée en fonctions, Luis Moreno Ocampo n'a émis aucun mandat d'arrêt. A l'heure ou la Cour fait débat à New York au sujet du Soudan, son fonctionnement alimente les interrogations."Lorsqu'on m'a proposé de travailler à la Cour, j'ai beaucoup réfléchi. Il me semblait qu'elle avait besoin de juristes, pas de diplomates, avoue le juriste argentin, ancien conseiller ministériel. En prenant possession de mon bureau, j'ai pensé que j'avais été placé là pour mettre en œuvre un jeu de rôles avec une mission simple : vous serez enfermé ici pendant plusieurs mois et votre tâche consistera à construire la justice globale." Compétente depuis le 1er juillet 2002 pour poursuivre les responsables de génocide et crimes contre l'humanité, la Cour pénale internationale éprouve des difficultés à trouver ses marques.Le statut de la Cour a été adopté en 1998 au terme d'intenses négociations entre diplomates, juristes et militants. La question est aujourd'hui de savoir si elle doit rendre une justice de compromis.A ce jour, aucun des "invités" du 174 Maanweg à La Haye n'y est venu menottes aux poignets. Les juges ne déambulent pas en robe dans les couloirs de cet immeuble occupé auparavant par la compagnie téléphonique néerlandaise. Comme si le bâtiment de verre avait conservé la mémoire de ses anciens locataires, ici, on communique. Des "spécialistes" des quatre coins de la planète sont régulièrement invités "au dialogue". Prochainement, les diplomates participeront à une réunion "qui sera le cadre d'un échange de renseignements et d'idées sur les stratégies directrices du bureau du procureur", lit-on sur le carton d'invitation adressé par le parquet.En jouant à la frontière du politique et du judiciaire, le procureur espère obtenir une coopération maximale des Etats et de la société civile. Il en a besoin pour légitimer ses décisions. Mais Luis Moreno Ocampo dispose déjà d'un "véritable ministère des affaires étrangères", s'étonne un juriste. En août 2004, les auditeurs de la Cour s'inquiétaient de l'existence d'un bureau appelé "division de la coopération et de la complémentarité" et "qui pourrait compliquer les rôles". Il forme, avec le département des enquêtes et celui des poursuites, le bureau du procureur. A la tête de cette division, Sylvia Fernandez de Gurmendi, ancienne conseillère de la mission argentine aux Nations unies, guide la stratégie du parquet.En juin et juillet 2004, le procureur décidait d'ouvrir deux enquêtes, sur les crimes commis en République démocratique du Congo (RDC) et au nord de l'Ouganda. Suite à d'actives négociations, le procureur avait été saisi par les deux chefs d'Etat. Depuis, le parquet n'a mis à disposition qu'une poignée d'enquêteurs en RDC, un territoire grand comme quatre fois la France, engagé depuis huit ans dans une ronde de massacres s'étendant en Ouganda et au Rwanda.En juillet 2003, Luis Moreno Ocampo jurait de poursuivre les plus hauts responsables. Or, selon des sources internes, le procureur pourrait ne conduire dans le prétoire que "quelques chefs de milices". Les cibles naturelles du procureur, anciens rebelles devenus signataires de la paix - dont Jean-Pierre Bemba, vice-président de la RDC -, participent désormais au processus de transition en cours. L'idéal de paix et les Etats qui le financent conduisent le procureur argentin à quelques valses-hésitations. Si, en juillet 2003, Luis Moreno Ocampo promettait de s'attaquer au nerf de la guerre en poursuivant pilleurs de diamants et trafiquants d'armes, en novembre 2004, au cours d'un entretien, il révisait ses ambitions et prônait les avantages "d'une politique de poursuite au cas par cas et par étapes".Voisin de la RDC, l'Ouganda a lui aussi saisi le procureur. Avec l'affaire ougandaise, les opposants à la Cour dénoncent une politique opportuniste. Avant d'ouvrir une enquête, le procureur doit s'assurer que le pays n'a ni la volonté ni les moyens de rendre justice. Or le procureur général de l'Ouganda, Lucian Tihabura, est catégorique : "Le système judiciaire ougandais est indépendant, impartial et compétent."Les Etats-Unis bataillent ferme contre la Cour, de crainte qu'elle ne poursuive leurs ressortissants. Pour Pierre-Richard Prosper, ambassadeur américain pour les crimes de guerre, avec l'affaire ougandaise, "elle passe outre ses principes". A Kampala, selon le quotidien New Vision, le président Yoweri Museveni n'hésite plus à proposer un retrait de sa plainte en échange d'un cessez-le-feu pour entamer des négociations avec Joseph Kony, le leader de l'Armée de résistance du Seigneur (ARS), qui a enlevé et enrôlé 20 000 enfants dans ses troupes en dix-huit ans de conflit.Certains Etats, parmi les plus ardents défenseurs de la Cour, ont initié des débats au Conseil de sécurité pour que le mécanisme de poursuite des criminels de guerre soit arrêté dans le cadre global des négociations de paix. La justice internationale retrouverait alors sa place au sein des Nations unies. Une place qui, dans le cas du Darfour (ouest du Soudan), fait défaut. La commission d'enquête de l'ONU sur les crimes commis dans cette région demande au Conseil de sécurité de saisir la CPI, seul moyen pour le procureur de pouvoir enquêter, puisque Khartoum n'a pas ratifié le statut de la Cour. Mais la nomination du "faucon" John Bolton au poste d'ambassadeur des Etats-Unis aux Nations unies présage un durcissement de la position américaine.La Cour continue d'inspirer des attentes variées. Les diplomates veulent "la paix d'abord". Les militants estiment qu'il n'y a "pas de paix sans justice". Les victimes attendent réparation. Confronté à ces attentes, le procureur cherche le compromis, comme si la Cour n'avait pas encore coupé le cordon ombilical pour s'affranchir des ambiguïtés de sa création.
