Création Christo habille de safran les sentiers de Central Park L'artiste et sa femme Jeanne-Claude ont conçu "The Gates" : 7 500 arches de tissu visibles dans les allées du parc le 3 février. De petites créatures orange ont envahi Central Park. Ouvriers en tenue fluo, plots de plastique coloré, socles de métal. Ce n'est encore que l'avant-garde : le 3 février, les ouvriers vont commencer à assembler des perches de vinyle sur les 15 000 barres métalliques. Une semaine plus tard, 7 500 panneaux de tissu orange vont être déployés sur les arches. Et le 12 février, on traversera le parc en passant soudes portes monumentales et des rideaux couleur safran. C'est le nouveau projet de l'artiste Christo et de sa femme Jeanne-Claude, réputés pour leurs installations monumentales sur des édifices ou sites naturels. Après avoir "emballé" le Pont-Neuf (1985) et le Reichstag (1995), c'est le tour de Central Park, en plein cœur de New York. Depuis que le maire, Michael Bloomberg, a donné l'autorisation, en janvier 2003, les New-Yorkais ont été progressivement préparés à l'invasion. Au printemps, le Metropolitan Museum of Art (MET), qui est aux premières loges, sur la Cinquième Avenue, a consacré une exposition au projet. Le directeur du MET, Philippe de Montebello, n'est pas précisément un passionné d'art contemporain, mais, selon le livre de l'exposition, il s'est pris d'un intérêt particulier pour les projets de Christo, et notamment l'un des premiers, "Valley Curtain", qui avait consisté, en 1972, à barrer d'un mur de 13 000 mètres carrés de tissu une vallée du Colorado. Alors qu'il était le directeur du Fine Arts Museum de Houston, il avait déjà organisé l'exposition de présentation. L'œuvre new-yorkaise est intitulée The Gates ("Les Portes"). Elle va occuper 36,8 km (sur les 92 km de sentiers piétonniers du parc). Sur les dessins de Christo, la succession des panneaux orange fait l'effet d'une descente aux flambeaux ou d'un dragon de nouvel an chinois qui serpenterait depuis la 110e Rue. Christo, qui est né en Bulgarie le 13 juin 1935, et sa femme Jeanne-Claude, une fille de général français née à Casablanca exactement le même jour de la même année, habitent New York depuis 1964. Ils ont toujours voulu illustrer le flot humain, la foule, le mouvement. Les "portes" sont celles qui donnent accès au parc. Les arches sont hautes de 4,87 m. Elles seront montées sur des socles en acier (5 290 tonnes, sorties des usines de Pennsylvanie) pour éviter de faire des trous dans les allées du parc. Le tissu tombera sur plus de 2 m. Il a été fabriqué en Allemagne. C'est un Nylon résistant comme ceux des toiles de sport. Sur les dessins de Christo, on croirait presque à des voilages de bonzes. Au toucher, la matière est plus rugueuse. Pour répondre à la curiosité des visiteurs, 300 aides en tenue orange distribueront des échantillons du tissu. Christo et Jeanne-Claude avaient dû attendre vingt-quatre ans pour emballer le Reichstag (et dix ans pour le Pont-Neuf). Le record est battu. Le premier projet des Gates remonte à 1979. Sur les photos de l'exposition du MET, on voit les artistes, avec vingt ans de moins, argumenter sur l'impact environnemental du projet devant divers groupes influents de la ville. A l'époque, le parc était au plus mal, comme les finances de la municipalité. Le projet a été rejeté en 1981. Les artistes ont reformulé leur demande, en réduisant de moitié le nombre de portes pour tenir compte des allées où les branches sont trop basses, et en proposant le mois de février, qui est le plus creux. L'administration Bloomberg a accepté, à condition que la manifestation ne coûte rien à la ville et que la sécurité et le nettoyage soient pris en charge par les Christo. La municipalité anticipe des revenus de 80 millions de dollars et un tourisme spécial "Gates". Les agences de voyage proposent des week-ends, les hôtels du quartier offrent des jumelles dans les chambres, et les restaurants des sauces au safran. Le coût du projet est d'environ 21 millions de dollars, dont 3 millions ont été offerts au service des parcs de la ville. Les artistes s'autofinancent. Jusqu'à la dernière minute, Christo tente de commercialiser ses dessins des Gates. En 2004, le couple a vendu pour 15 millions de dollars d'œuvres. Des musées comme la National Gallery de Washington, le Whitney Museum ou le Würth Museum de Kunzelsau, en Allemagne, ont acheté des dessins, certains pour un montant de 600 000 dollars. Pour la première fois, les artistes ont par ailleurs accepté de signer une ligne de produits : montres, sacs orange, tasses, qui sont notamment vendus au MET. Les artistes ne touchent pas un cent sur les ventes. Ils verseront les royalties à une association à but non lucratif, Nurture New York's Nature, dont l'objet est de défendre l'environnement new-yorkais. Cette association a été fondée par Theodore Kheel, l'avocat qui les a aidés à défendre le projet. L'exposition ne durera que deux semaines, jusqu'au 27 février. Comme l'explique Jeanne-Claude dans un entretien publié dans le catalogue de l'exposition, le temporaire est pour eux une "décision esthétique". Les New-Yorkais vont-ils apprécier ? Rien ne permet encore de l'assurer. Le tabloïd New York Post a déploré qu'autant d'argent soit "gaspillé" pour un projet aussi futile. Le Sierra Club, la principale organisation écologiste, regrette de son côté que personne ne songe aux 7 000 oiseaux du parc qui risquent d'être "sérieusement blessés lorsqu'ils trouveront sur leur chemin des obstacles inconnus" tels que des arches et des tissus safran.