Exposition Cent ans d'artistes juifs en Palestine et en Israël Boris Schatz avait une conviction : le futur Etat juif qu'il appelait de ses voeux devait avoir un art à la mesure de son utopie. Sculpteur et peintre juif de Lituanie attaché à la cour du roi Ferdinand de Bulgarie, il réussit à faire voter par le congrès sioniste de 1905 le principe de l'installation à Jérusalem d'une école d'art. "Fondons une académie dans le désert", aurait dit à cette occasion Theodor Herzl, le père du sionisme. L'année suivante, l'école Bezalel ouvrait ses portes à Jérusalem, dans une Palestine ottomane qui n'était pas encore Israël, aux premiers artistes dont beaucoup d'Allemands. Près de cent ans plus tard, à l'occasion du quarantième anniversaire de l'établissement des relations diplomatiques germano-israéliennes, le Musée d'Israël présente à Berlin le travail des "Nouveaux Hébreux", artistes qui durant un siècle ont accompagné de leurs oeuvres la construction d'Israël. Une exposition de cette ampleur est une première en Allemagne. Les artistes israéliens et pré-israéliens ne paraissent pas avoir été profondément influencés par le thème sioniste, soit le retour des juifs en Palestine. Délibérément, les commissaires de l'exposition, Doreet LeVeet Harten, de Berlin, et Yigal Zalmona, de Jérusalem, ouvrent leur parcours avec des oeuvres qui, loin de toute rêverie biblique, évoquent une réalité : l'oppression, les pogroms et les massacres qui, dès le début du XXe siècle, ont tant fait pour pousser vers la Palestine des cargaisons d'immigrants juifs. Après ce rappel qu'illustre, entre autres, un grand tableau de Samuel Hirszenberg où Le Juif errant dénudé tente d'échapper à une forêt de croix menaçantes, le visiteur est invité à se plonger dans un autre univers, celui d'une société en construction, tentant de forger une histoire culturelle sortie du néant pour fonder une identité nationale. Les premières années, peintres, sculpteurs et photographes tâteront de l'orientalisme, mettant en scène des hommes et des femmes déguisés en Bédouins. Très vite lesartistes abandonnent ces préciosités pour mettre en images et en objets l'espérance et le projet sionistes. Les affichistes vont accompagner l'explosion démographique d'un territoire, d'abord province ottomane puis mandat britannique, où s'installent des milliers d'émigrés. L'optimisme est de rigueur : les sportifs montrent l'exemple aux bâtisseurs qui jouent les Stakhanov du Bauhaus. Dans les champs s'active le nouvel homme juif, la houe dans une main, le fusil dans l'autre. Regards pointés sur l'horizon, les aviateurs symbolisent l'irrésistible élan de la nation en formation. L'IMMIGRATION ET LA SHOAH Le thème de l'immigration, qui parcourt toute la réalité du sionisme des années 1920 et 1930, reçoit une impulsion nouvelle après la seconde guerre mondiale. Jusqu'ici traité sous forme dynamique et presque joyeuse, le sujet, après la Shoah, est abordé de manière grave. Ce ne sont plus des pionniers radieux qui arrivent en Palestine, puis dans l'Etat d'Israël, créé en 1948, pour construire un monde nouveau, mais des rescapés qui cherchent refuge. Il faut attendre 1961 et le procès d'Adolf Eichmann, enlevé par les services secrets israéliens afin d'être jugé à Jérusalem, pour que le quotidien de la Shoah, jusqu'alors quasi indicible, éclate véritablement. Dans une salle de l'exposition, protégé par une cage de verre comparable à celle où était assis l'ancien officier SS durant les audiences, un écran déroule en boucle quelques instants du procès, ces pleurs des témoins racontant pour la première fois leur calvaire à une société qui savait mais n'avait pas voulu entendre ; on y voit aussi le peuple d'Israël accroché aux transistors, la multitude des journalistes accourus du monde entier (dont le regretté Jean-Marc Théolleyre qui couvrait l'événement pour Le Monde). Désormais tableaux, timbres, affiches, installations et vidéos feront de la Shoah et de son souvenir un thème quotidien. Insensiblement, comme en un fondu enchaîné, s'installe le tragique d'une société enlisée dans cet affrontement sans fin qu'est le conflit israélo-palestinien. Quelle force entraîne ce soldat qui, visage ravagé, glisse entre les bras de sa mère impuissante à le retenir ? Sur qui pleurent ces soldats d'élite, gosses derrière leurs lunettes noires, assistant, anéantis, à la mise en terre d'un des leurs, tombé en Cisjordanie ? L'image réelle, transmise amplement à la télévision, avait suscité en Israël un débat national. Etait-il concevable de montrer au public les parachutistes israéliens en train de pleurer ? Etait-il même admissible que ces derniers ne puissent retenir leurs larmes ? Le peintre Nir Rod en a fait un immense tableau hyperréaliste bordé de fleurs aussi rouges que le béret des soldats, témoignage éclatant de la sensibilité immédiate des "Nouveaux Hébreux" aux drames du temps. "Les Nouveaux Hébreux, 100 ans d'art en Israël". Exposition au Martin-Gropius-Bau, Niederkirchnerstrasse, 7, 10963 Berlin. Tél. : + 49 (0) 30 254 86-0. Jusqu'au 5 septembre. Tous les jours de 10 heures à 20 heures ; fermé mardi. Catalogue 588 pages, 25 €. Sur Internet : www.gropiusbau.de.