Exposition Bruxelles fête l'inquiétante peinture de Léon Spilliaert Vers 1920, les oeuvres de Léon Spilliaert se vendaient bien à Paris, mais pas en Belgique, son pays natal. La situation s'est inversée depuis : alors que les occasions de voir Spilliaert en France sont trop rares, Bruxelles le célèbre en deux grandes expositions, au Musée royal des beaux-arts et à la Bibliothèque royale. Plus de trois cents pièces montrent, pour la première fois, dans sa variété et sa complexité l'oeuvre de cet Ostendois qui mérite d'occuper dans l'histoire une place comparable à celle de son contemporain, l'Italien De Chirico. De la vie de Spilliaert, il y a peu à dire. Né en 1881, mort en 1946, il a vécu entre Ostende et Bruxelles. Il n'a été l'élève d'aucune école. Il a appris seul comment employer les crayons de couleurs, l'aquarelle, l'encre, le lavis. Le papier et le carton sont ses supports de prédilection. Avec ces moyens légers et réduits, dès les années 1900, il jette le trouble dans la vision. Ses oeuvres sont toutes figuratives. On y reconnaît bâtiments, objets, figures, paysages. Mais si ces éléments sont aisés à identifier, le sens des images n'en est pas moins terriblement incertain. On dirait que Spilliaert ne se met au travail qu'à l'heure où la nuit tombe et où l'obscurité change les choses en ombres et en fantômes. Il est impossible de déterminer quelles actions s'accomplissent dans ces architectures monumentales et sur ces jetées qui s'enfoncent moins dans la mer que dans le néant. Les réverbères ne sont là que pour projeter de longs rayons sur les flaques d'eau et les fanaux suggèrent des espaces immenses perdus dans le noir. L'espace paraît très profond, presque sans limites. N'y vivent que des silhouettes réduites à un contour et une tache sombre. L'intérieur des maisons devrait être moins inquiétant. Mais les miroirs, les fenêtres et les corridors sont si nombreux que la perspective s'étire, se tord, cesse d'être un repère fiable. Les proportions elles-mêmes sont affectées par une légère anormalité. Ce monde à la Edgar Poe est habité par des jeunes femmes pâles et statufiées et par l'artiste, dont les autoportraits hallucinés sont stupéfiants. Jusqu'aux nus qui créent le malaise : baigneuses, sphinges ou démones ? ENTRE SYMBOLISME ET SURRÉALISME A ses débuts, Spilliaert est parfois proche du symbolisme, de Klimt, Kubin et Khnopff. Mais monstres et créatures fantastiques disparaissent sitôt qu'il s'aperçoit qu'il suffit de figurer la réalité de manière oblique pour la faire basculer dans la peur. Quelle réalité ? Celle du monde moderne, des palaces, des dirigeables, des maisons confortables et des villes. S'il fait décidément penser à De Chirico, qu'il n'a pas connu, c'est parce qu'il leur en faut peu pour susciter énigmes et craintes : juste les objets et les lieux du quotidien. Chirico les peint dans la lumière d'un midi solaire qui ne cesse jamais et Spilliaert les dessine dans un crépuscule où le temps ne s'écoule plus. Ces jeux d'éclairage et la déformation de la perspective sont d'une efficacité inépuisable. La place de Spilliaert est donc toute désignée : entre symbolisme et surréalisme, il rôde, fantôme solitaire d'une modernité incurablement douloureuse. Musées royaux des beaux-arts, 3, rue de la Régence, Bruxelles. Tél. : 02-508-33-33. Du mardi au dimanche, de 10 heures à 17 heures ; vendredi jusqu'à 21 heures. Jusqu'au 4 février 2007. 9 €. Bibliothèque royale, Mont des arts, Bruxelles. Tél. : 02-519-53-72. Du mardi au samedi, de 10 heures à 16 h 50. Jusqu'au 3 février 2007. Entrée libre.