Exposition Braque et Laurens, du cubisme à l'écart des années 1930 Si la qualité d'une exposition se mesure à l'étonnement qu'elle suscite, celle qui, à Lyon, présente le "dialogue" de Georges Braque et d'Henri Laurens à Lyon, est très bonne. Eétroitement amis de 1911 à la mort de Laurens, en 1954, le peintre et le sculpteur ont beaucoup en commun. Ils sont de la même génération, celle du cubisme. Braque en est l'inventeur avec Picasso à partir de 1908 et Laurens l'un des principaux sculpteurs quelques années plus tard. En 1915, Laurens commence à pratiquer découpages et assemblages de papiers, de morceaux de bois et de feuilles de métal pour suggérer des natures mortes et des têtes. Avec facilité, il construit des architectures de cylindres et de plans anguleux : fantômes de bouteilles en équilibre sur des coins de table. Il joue du contre-relief, indique le plein par le vide, le volume par le contour, l'objet par le spectre. Il écrit des mots incomplets, rehausse ses montages de taches colorées et de motifs décoratifs. Il s'inscrit dans la suite de Picasso, même s'il lui manque l'extravagante fantaisie formelle et chromatique qui rend celui-ci inégalable. Dans les années 1920, la proximité avec Braque se resserre : les reliefs de pierre polychrome de l'un semblent des adaptations en bas reliefs des toiles de l'autre (guitares, coupes de fruits, angles inscrits dans des courbes). Ils sont alors les maîtres d'un postcubisme policé et élégant. Si l'histoire et l'exposition s'arrêtaient là, elles passionneraient peu. Les toiles et les collages cubistes de Braque présentés appartiennent pour la plupart au Musée national d'art moderne (Centre Pompidou). Un accrochage moins à l'étroit permettrait d'en jouir plus complètement. Quant au ton propre à Laurens, dans cette première partie du parcours, il ne transparaît qu'à peine, tant ce cubisme tend à devenir un système, avec sujets obligés. Tout change, tout se brise, dans la deuxième partie de l'exposition. Les années 1930 commencent. Dans des formats qui vont s'agrandissant, Braque reste fidèle aux tables chargées d'objets, aux billards, à la stylisation géométrique et aux harmonies ocre et grises. La matière s'épaissit parfois. On ne peut s'empêcher de penser que l'artiste, reconnu, "fait du Braque", se pastiche. Il est certes, dans cette période, des Braque plus aventureux, mais ils ne sont pas à Lyon, où l'on ne voit guère que le moderne officiel qu'encensent Paulhan et Malraux. DE PLUS EN PLUS LOIN Laurens, c'est l'inverse : sa notoriété est moindre, sa liberté incomparablement plus grande. A partir de 1932, il se met à modeler des figures féminines de plus en plus étranges, d'abord légèrement cycladiques ou africaines, puis de plus en plus convulsées et érotiques. Les angles disparaissent, absorbés par des formes courbes, sphériques ou étirées, nouées ou dénouées. Les anatomies se simplifient et s'agrègent en grappes. Déformations et métamorphoses deviennent la règle, jusqu'à ce qu'il ne reste plus du corps humain que les sinuosités du Ruban. Ce Laurens-là, un peu fou, rien n'annonçait son irruption dans ses oeuvres antérieures. Rien ne donnait à attendre le glissement du sage cubiste vers les parages de Miro, d'Arp et du Picasso sculpteur des années 1930. L'Eté et la Femme fleur, bronzes d'une remarquable expressivité, sont accompagnés de dessins tout aussi surprenants. Les lignes filent, se croisent, occupent la feuille jusque dans les angles, créent la sensation de corps ployés et comme enfermés dans des espaces trop petits pour eux. Des taches rouges ou bleues flottent parfois, gouache ou pastels en surimpression. Elles ajoutent leur crudité à la netteté des traits. Dans les dernières années de sa vie, plus rien ne justifie qu'il soit comparé à Braque. Leur rapprochement produit alors un effet probablement inattendu : il met en valeur l'inventivité et la singularité du sculpteur, aux dépens du peintre. Il convainc que Laurens mérite mieux que sa réputation d'habile praticien du cubisme et qu'il n'a jamais été aussi intéressant que quand il s'est glissé hors de ce système. "Braque/Laurens : un dialogue", Musée des beaux-arts, 20, place des Terreaux, Lyon-1er. Tél. : 04-72-10-30-30. Du mercredi au lundi de 10 heures à 18 heures, le vendredi de 10 h 30 à 20 heures. 3 €. Jusqu'au 30 janvier. Philippe Dagen