Nouveau/elle Bracelet électronique : la question du respect de la Constitution soulève une vive polémiqueLe ministre de la justice, Pascal Clément, a vivement été mis en cause, mardi 27 septembre, pour avoir annoncé lundi soir qu'il voulait introduire dans la loi anti-récidive présentée à la mi-octobre la rétroactivité du port du bracelet électronique pour les délinquants sexuels. Cette rétroactivité aurait un caractère exceptionnel, le principe de la non-rétroactivité prévalant en droit français. Elle avait déjà été intégrée dans la première mouture de la loi examinée en décembre 2004 avant d'être rejetée par le Sénat. Depuis, la loi a été complètement remaniée. Elle sera présentée à la mi-octobre avec le bracelet électronique comme mesure phare. M. Clément, en présentant ce projet malgré un "risque d'inconstitutionnalité", avait expliqué vouloir le prendre, "et tous les parlementaires pourront le courir avec moi". "Il suffira pour eux de ne pas saisir le Conseil constitutionnel et ceux qui le saisiront prendront sans doute la responsabilité politique et humaine d'empêcher la nouvelle loi de s'appliquer au stock de détenus", a ajouté M. Clément, s'attirant ainsi les foudres des instances judiciaires et de l'opposition.LE RESPECT DE LA CONSTITUTION EST UN "DEVOIR"Le président du Conseil constitutionnel, Pierre Mazeaud, a souligné mardi, dans une démarche qualifiée d'exceptionnelle par son entourage, que le respect de la Constitution était "non un risque mais un devoir".L'Union syndicale des magistrats (majoritaire) et le Syndicat de la magistrature (gauche) se sont peu avant déclarés "choqués" mardi par une rétroactivité du port du bracelet électronique. "De tels propos bafouent les principes d'un Etat de droit, respectueux de la Constitution, de la convention européenne des droits de l'homme et du principe fondamental de la non-rétroactivité des lois pénales", critique l'USM qui évoque une "injonction sans précédent d'un membre de l'exécutif aux députés et sénateurs de ne pas saisir le Conseil constitutionnel". L'USM voit là "un exemple catastrophique donné aux délinquants de mépris de la loi" et "une communication purement démagogique visant à masquer la mise en place par Pascal Clément d'un budget notoirement insuffisant et d'un rationnement des frais d'enquêtes".Le Syndicat de la magistrature appelle pour sa part "le président de la République et les parlementaires à saisir le Conseil constitutionnel afin que les principes fondamentaux soient respectés et rappelés à un ministre indigne de la République". M. Clément "ose reconnaître l'inconstitutionnalité de certaines dispositions de la proposition de la loi sur la récidive et défie les parlementaires de saisir le Conseil constitutionnel, exerçant ainsi un chantage inadmissible à l'opinion publique", critique le syndicat dans un communiqué."La non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère est un principe constitutionnel également affirmée par l'article 7 de la convention européenne des droits de l'homme", rappelle le syndicat. "L'incitation d'un ministre de la justice à la violation délibérée de la Constitution et de la convention européenne est intolérable et présage de lendemains particulièrement inquiétants pour la démocratie", estime le SM.Pour les travailleurs sociaux des services de probation et d'insertion de la pénitentiaire (SPIP), Michel Flauder, secrétaire général du syndicat majoritaire Snepap-FSU, a jugé durement l'idée d'une rétroactivité de la loi. "Cela s'appelle s'asseoir sur la Constitution", a-t-il estimé."IRRESPONSABILITÉ TOTALE" Le président du groupe PS à l'Assemblée nationale, Jean-Marc Ayrault, a estimé mardi que le garde des sceaux n'était "pas digne d'exercer ses fonctions", pour avoir proposé la rétroactivité du port du bracelet électronique. "C'est plus que surréaliste, c'est totalement aberrant car le garde des sceaux est chargé de veiller au respect de la loi", a commenté M. Ayrault devant la presse à l'Assemblée."Aujourd'hui, [M. Clément] prend la responsabilité de violer la Constitution et il demande au Parlement de couvrir purement et simplement cette initiative. Cela dépasse l'entendement", s'est insurgé le député-maire de Nantes, en prévenant que "les députés socialistes ne céderaient évidemment pas à cette injonction du ministre de la justice". "A mes yeux, a-t-il poursuivi, il n'est pas digne d'exercer ses fonctions".Le député socialiste Jean Glavany a qualifié pour sa part "d'irresponsabilité totale" la proposition de M. Clément. "Qu'un garde des sceaux, un ministre de la République s'adresse au Parlement en disant 'je vais prendre une mesure anti-constitutionnelle, je le sais, mais je vous en prie laissez-moi faire et ne portez pas le débat devant le Conseil constitutionnel', je trouve ça d'une irresponsabilité totale", a déclaré l'ancien ministre, dans les couloirs de l'Assemblée nationale.Le porte-parole du PS, Julien Dray, a quant à lui critiqué que le ministre de la justice ait incité les parlementaires à ne pas saisir le Conseil constitutionnel sur la question. M. Dray a déclaré sur France Inter ne pas pouvoir se "prononcer tout de suite" sur une éventuelle saisine du Conseil constitutionnel par le PS à propos d'une mesure qui contredit le principe de non-rétroactivité de la loi pénale. "Je considère que le procédé utilisé par M. Clément est détestable, il faut que les parlementaires gardent leur liberté", a commenté le député de l'Essonne.Dans un entretien au Parisien à paraître mercredi, M. Clément a estimé que la polémique n'avait pas lieu d'être. "Le port du bracelet électronique n'est pas une peine, c'est une mesure de sûreté qui peut accompagner tout sortant de prison. Ce problème de loi rétroactive ou pas ne se pose donc pas à mon sens", a déclaré le garde des Sceaux dans cet entretien. "Il faut à tout prix éviter une querelle sur cette question", a insisté M. Clément.Pourtant selon Christine Lazerges, professeur de droit et déléguée nationale du PS chargée des questions de justice, "en droit pénal français, aucun texte d'incrimination ou instituant une peine nouvelle ne peut s'appliquer à des crimes ou délits commis antérieurement". Mme Lazerges a ajouté que "jusqu'à maintenant, le Conseil constitutionnel n'a pas accepté de dissocier les peines et les mesures de sûreté, comme veut le faire le gouvernement".
