Exposition Botero saisi par l'horreur de la prison d'Abou Ghraibson sang n'a fait qu'un tour, il a giclé sur le papier. C'était dans un avion, quelque part au-dessus de l'Atlantique. En découvrant sur un journal les photos des sévices de la prison d'Abou Ghraib, en Irak, Fernando Botero demande à l'hôtesse de quoi dessiner. Vite. La colère ne peut être davantage contenue, il faut qu'elle se répande, comme la peinture hors du tube. "J'ai été horrifié, comme le monde entier, par ces tortures parce qu'elles venaient des Etats-Unis, le pays le plus riche, le plus puissant et qui se présente comme un modèle de civilisation", a expliqué l'artiste colombien, jeudi 16 juin à Rome, à l'ouverture de l'exposition consacrée aux quinze dernières années de son oeuvre.Son indignation n'est pas retombée, alimentée par les récits de la presse internationale. Botero avoue avoir été surtout marqué par les articles du New Yorker. D'octobre 2004 au début de cette année, rage et dégoût ont guidé son pinceau sur une quinzaine de toiles grand format et trente réalisations plus petites dessins, aquarelles et sanguines.Toutes sont exposées pour la première fois, au Palazzo Venezia, parmi 170 oeuvres du peintre-sculpteur. Elles sont, selon les organisateurs, "le coeur qui saigne" de l'exposition. Botero montre, comme toujours, des corps ronds, courtauds, trapus. Mais la bonhomie et l'ironie ont disparu. Ici, le grotesque des postures ne traduit que violence, peur, humiliation.Les prisonniers irakiens sont à demi nus, pieds et poings liés, parfois cagoulés, couverts d'ecchymoses, sanguinolents, grimaçants. L'un d'eux est suspendu par une jambe, sa nudité pathétiquement exhibée. Un autre a été harnaché avec des sous-vêtements féminins rouges. Plusieurs se chevauchent, mimant des gestes obscènes. A plat ventre sur le sol, celui-là est terrorisé par un molosse.Ailleurs, un homme tente de résister aux morsures de trois chiens tenus en laisse par une main anonyme. A part un soldat américain qui manie avec ardeur une matraque ensanglantée, les persécuteurs sont étrangement absents, maintenus hors champ par le peintre, qui "préfère - s -'intéresser aux victimes plutôt qu'aux bourreaux".Le décor est invariablement composé de barreaux, de murs nus et sombres, d'un sol carrelé. Les couleurs diffusent une lumière artificielle et carcérale. Les chairs sont systématiquement zébrées de gouttes de sang. Un témoignage quasi journalistique que le peintre revendique en se demandant si quelqu'un se souviendrait des atrocités de Guernica sans le tableau de Picasso. Botero reconnaît qu'il ne s'était encore jamais inspiré aussi directement de l'actualité, même si, récemment, il a démontré sa sensibilité politique par une série de tableaux sur la guerre civile dans son pays. Ce sont deux types de violence qu'il ne veut pas confondre : "En Colombie, la violence est presque toujours la conséquence de l'ignorance, du manque d'instruction et de l'injustice sociale, dit-il. Des Etats-Unis, je m'attendais à autre chose que ces pratiques médiévales." Après Rome, les peintures d'Abou Ghraib doivent aller à Stuttgart, puis à Athènes. Ensuite peut-être à Washington, espère l'artiste. Il souhaite céder gratuitement ces toiles à un musée, car "on ne fait pas de business avec la douleur humaine"."Les quinze dernières années", Fernando Botero, Palazzo Venezia, 118, via del Plebiscito, Rome. Tél. : 00-39-06-32-810. Tous les jours, sauf le lundi, de 10 heures à 19 heures. Entrée : 8 €. Jusqu'au 25 septembre.
