Annonce Billets d'avion de M. Chirac : les poursuites sont abandonnéesPlus radical qu'un non-lieu, plus discret qu'une amnistie, moins compromettant qu'un classement sans suite : la justice a abandonné toute poursuite dans l'affaire des billets d'avion payés en argent liquide par Jacques Chirac et son entourage, sans que cette décision soit matérialisée par un seul acte judiciaire. Incluse dans le dossier des marchés des lycées d'Ile-de-France, dont le procès s'ouvrira lundi 21 mars, cette enquête retentissante, dont les découvertes avaient mis en cause le chef de l'Etat durant l'été 2001, n'est pas même évoquée dans l'ordonnance de renvoi rédigée par le juge d'instruction Armand Riberolles, pourtant longue de 271 pages.Cette omission volontaire scelle de facto l'extinction des poursuites sur les fonds versés en espèces par M. Chirac dans une agence de voyages de Neuilly-sur-Seine entre 1992 et 1995 à une époque où il était maire de Paris et président du RPR. Exclus de l'ordonnance de renvoi, ces faits ne pourront être évoqués lors des audiences ; mais le juge d'instruction s'étant désormais dessaisi au profit du tribunal, aucun magistrat n'est plus en mesure de reprendre les investigations sur ce volet oublié.La teneur en est connue : plusieurs années durant, avant son accession à l'Elysée, M. Chirac fit régler en liasses de billets les factures de voyages qu'il effectuait seul ou accompagné. Plusieurs membres de sa famille (son épouse, Bernadette, et sa fille Claude) et de son entourage (dont l'ancien sénateur Maurice Ulrich, conseiller à l'Elysée) ont eu recours au même mode de paiement. L'enquête avait établi qu'entre décembre 1992 et mars 1995 l'agence de Neuilly avait reçu 3,1 millions de francs en espèces pour le paiement de billets d'avions et de séjours, le plus souvent à caractère privé aux Etats-Unis, à l'île Maurice ou encore au Japon , se rapportant au futur chef de l'Etat ou à ses proches.Le voyagiste, Maurice Foulatière, avait relaté aux policiers les appels téléphoniques des secrétaires de M. Chirac annonçant la livraison d'"enveloppes kraft" contenant les fonds. Le 21 juin 2001, il évoquait aussi, sur procès-verbal, plusieurs conversations avec son illustre client "pour savoir si tout s'était bien passé au niveau du règlement".Le lendemain de cet interrogatoire compromettant, le 22 juin 2001, M. Riberolles avait estimé qu'une audition de M. Chirac en qualité de "témoin assisté" apparaissait "nécessaire à la manifestation de la vérité et à l'appréciation des niveaux de responsabilité". Il postulait qu'un lien pouvait exister entre les commissions versées en marge des attributions de marchés du conseil régional d'Ile-de-France, objet de l'instruction principale, et les sommes d'argent liquide livrées à l'agence de voyages de M. Chirac.Mais, le 17 juillet suivant, s'inclinant devant l'immunité présidentielle et l'avis du parquet général, le juge s'était déclaré "incompétent" pour mener ses recherches plus en avant, dès lors qu'existaient "des indices" impliquant le chef de l'Etat.Entre-temps, M. Chirac s'était longuement défendu, au cours de son interview télévisée du 14 juillet 2001, assurant sans convaincre que les espèces utilisées provenaient des "fonds spéciaux" et avertissant qu'une convocation de son épouse relèverait de "l'inconscience" des juges. De fait, si Claude Chirac et Maurice Ulrich ont été questionnés par le magistrat, Bernadette Chirac, elle, n'a jamais été sollicitée quoique son nom figure à sept reprises sur la liste des voyages réglés en espèces.D'autres détails issus des archives du voyagiste sont restés inexplorés. Ainsi, la mention, parmi les bénéficiaires de voyages, de deux collaborateurs d'Alain Juppé identifiés à l'occasion de l'enquête sur le financement du RPR n'a suscité aucune vérification. De même, l'évocation d'un paiement annoncé par M. Chirac et effectué par Louise-Yvonne Casetta, l'ancienne intendante du RPR, est restée lettre morte. Sans doute anecdotique mais plus inattendue, l'apparition du nom de l'ancien PDG du groupe Elf, Loïk Le Floch-Prigent deux fois condamné pour "abus de biens sociaux" , en regard d'un voyage facturé en 1994 n'a pas davantage piqué la curiosité des enquêteurs.Seule une disjonction des éléments relatifs à l'affaire des billets présidentiels aurait pu permettre la poursuite de l'enquête parallèlement au procès des marchés d'Ile-de-France. L'expert désigné par le juge pour examiner registres et factures de l'agence de voyages avait pris soin de signaler, dans son rapport, qu'à la date des paiements la réglementation fiscale proscrivait les règlements en espèces supérieurs à 150 000 francs. Or la trace de sept versements outrepassant cette limite a été retrouvée.Ce seul constat aurait pu motiver l'ouverture d'une procédure distincte. Mais le parquet ne l'a pas requis, et les juges s'en sont abstenus. Si bien que, quatre ans après que M. Chirac eut affirmé contre toute évidence que les sommes visées par l'enquête étaient en train de faire "pschiit !", c'est l'affaire elle-même qui s'est évanouie.Hervé Gattegno et Fabrice Lhomme
