Annonce "Big Bang" au Centre PompidouL'exposition "Big Bang" est née d'une contrainte : le système anti-incendie du centre Pompidou doit être rénové, ce qui impose la fermeture alternée d'un des deux étages du Musée national d'art moderne (MNAM). La plupart des établissements de ce genre se contentent dans un tel cas, comme l'avait fait le MoMA de New York, d'exposer une sélection drastique des pièces majeures de leur collection. Les responsables du MNAM ont eu une autre ambition. Ils en profitent pour explorer de manière thématique l'origine, la formation et l'expansion de l'art du XXe siècle.L'exposition mêle arts plastiques, architecture, mode, design, littérature, cinéma, et même musique, pour aboutir, à partir des collections, à une relecture de l'histoire de l'art. Selon Alfred Pacquement, le directeur du musée, "les quelque 56 000 oeuvres des collections permettent de faire un nombre assez incroyable de propositions thématiques". Catherine Grenier, la commissaire de l'exposition, précise que "les chefs-d'oeuvre sont présents, pour asseoir la lecture, mais il y a aussi des pièces moins souvent montrées. Un accrochage thématique permet de les inclure dans un tel parcours, plus facilement qu'à travers une histoire linéaire et chronologique de l'histoire de l'art et de ses mouvements".L'exercice est périlleux. L'histoire sans la chronologie peut devenir volatile, et le Big Bang risquait fort de rester à l'état gazeux, même si, à l'usage du visiteur perdu, les organisateurs ont prévus des cartels développés pour les explications, et un guide d'une vingtaine de pages. Or, Catherine Grenier a su le rendre charnel. "Les premières réactions sont très positives, précise-t-elle. Paradoxalement, l'accrochage semble plus clair pour beaucoup de ceux qui ne sont pas formés à l'histoire de l'art. Parce que la chronologie, qui paraît simple, ne l'est pas pour tout le monde. Ici, le fil conducteur, c'est le corps. Et, sans que cela soit dit, chacun peu le sentir." Pour incarner son propos, elle a donc oublié l'histoire des mouvements artistiques pour en revenir aux oeuvres et trouver un lien nouveau entre elles. "C'est la connexion étroite entre création et destruction qui m'a retenue, d'où le Big Bang. L'artiste du XXe siècle a la possibilité de partir de bases nouvelles, ou d'inventer ses propres règles. En tout cas d'éprouver sa liberté, qui lui est donnée parce que la création est solidaire de la possibilité de destruction." Déconstruction des formes par les cubistes, qui a fait voler en éclats le monde ancien fondé sur la perspective monofocale ; défiguration par l'expressionnisme ; subversion du dadaïsme ; autonomie constructive avec l'abstraction...Donc, si l'année de départ des collections du Centre Pompidou est officiellement 1905, l'exposition commence avec une peinture de Daniel Richter de 2003. Qui jouxte une sculpture de De Kooning et une autre de Germaine Richier : le thème permet des rapprochements entre des artistes très jeunes et les pères de la modernité. "L'idée de base, martèle Catherine Grenier, c'est de partir du corps. Ensuite, l'exposition est articulée en huit chapitres. Le premier traite de la destruction. Le second du lien entre construction et déconstruction. Viennent ensuite l'archaïsme, le sexe, la guerre, la subversion, la mélancolie et le réenchantement." Catherine Grenier a imaginé des sous-parties, comme "Le corps désenchanté", qui dresse un inventaire de tout ce que les artistes on pu faire subir au corps, mais montre aussi la traduction des séismes du siècle. Défiguration et chaos, mais aussi géométrie, par laquelle ils tentent de reconstruire un univers, imaginant des cité abstraites où des environnements ordonnés, comme la salle à manger de Kandinsky.Mais toujours le hasard est là (une salle est consacrée à "L'aléatoire"), où le sentiment de l'absurde (une autre salle, nommée "Changement d'échelle", juxtapose des objets surdimensionnés et d'autres miniaturisés). Un espace est consacré aux "Procédures" . Il y en a de violentes : les artistes aiment casser, brûler, lacérer ou fusiller leurs toiles. Il faut mentionner aussi la section consacrée au "Sexe" : comme le Centre Pompidou est une maison respectable, elle commence par une salle consacrée à "La mariée" ... immédiatement suivie par une autre dédiée à "La transgression" . Suivent "Scènes sexuelles", "Prostituée" ou "Voyeurisme". L'art du XXe siècle n'a pas besoin de Viagra. Il a, malheureusement, d'autres stimulants, comme les "Guerres et révolutions", titre d'un des chapitres, ou encore la question ultime des artistes qui rêvent de postérité : la mort. Le chapitre "Vanités" est l'un des plus réussis. L'exposition effectue donc des confrontations inédites, plus proches de celles que l'on peut constater chez un collectionneur privé que dans un musée généralement soucieux d'ordre et de didactisme. Ou plus près de la vision d'un artiste au travail.Les résultats sont parfois d'une intelligence confondante, comme ce mur consacré aux grotesques et qui juxtapose Grosz, Magritte, John Currin, Glenn Brown, Picasso, Gontcharova, Anna Hoech et Urs Fischer. Le système permet de mettre en valeur des oeuvres peu connues ou de nouvelles acquisitions, comme ce Tir de Niki de Saint Phalle, ou cette version de La Joconde de Marcel Duchamp appartenant au Parti communiste français, mise ici en dépôt depuis le 2 juin.L'accrochage est prévu jusqu'en mars 2006, avant les travaux qui conduiront à organiser une deuxième thématique à l'étage du dessous, sur le rôle du cinéma dans l'art. Puis le musée sera réinstallé dans son entier. Pour Alfred Pacquement, "cette expérience va peut-être nous influencer pour la suite. C'est une lecture très inhabituelle et très stimulante. Mais il sera quand même nécessaire de retrouver un musée où les grandes figures de l'histoire de l'art seront montrées en bonne et due forme".
