Annonce Benjamin Millepied : une étoile française à New YorkChaque première européenne du danseur et chorégraphe Benjamin Millepied voit débarquer un charter d'Américains venus soutenir l'étoile française du New York City Ballet, le NYCB. Qui sont donc ces fans résolus qui suivent à la trace cet artiste de 29 ans quasiment inconnu en France ? Des mécènes, généralement passionnés par la danse, qui garnissent les poches de la compagnie Millepied. Un mois avant la soirée du jeudi 9 novembre, date de la représentation d'"Amoveo", sa création - sur une musique de Philip Glass - pour le Ballet de l'Opéra de Paris, les fauteuils du Palais Garnier étaient déjà pris d'assaut. "Ils viennent me voir et en profitent pour passer un week-end à Paris, c'est sympa, non ?, glisse Millepied comme une boutade. C'est comme ça que ça se passe aux Etats-Unis si vous voulez avoir une chance de faire vivre une troupe. Chercher des fonds fait aussi partie du travail..."Paris découvre Benjamin Millepied. New York, où il a débarqué à l'âge de 16 ans, porte depuis longtemps au pinacle le talent de ce Bordelais d'origine, dont la séduction opère avec le plus grand naturel. Sacré danseur étoile du NYCB en 2002, il jouit d'une réputation que son charme français auréole d'exotisme. Chorégraphe, il vient de mettre en scène Mikhaïl Baryshnikov dans un solo, "Years Later". "On s'est croisé dans la compagnie en faisant la barre quotidienne et on a commencé à discuter", raconte Benjamin Millepied. "C'est une histoire de vie, de travail, renchérit Baryshnikov. On a passé deux ans à monter le solo en collaboration avec un ami de Benjamin, le danseur et vidéaste Olivier Simola. On prend notre temps, c'est très agréable. Il y a beaucoup de confiance entre nous. L'important, c'est d'être vrai, d'éviter les histoires d'ego." Singulier phénomène que ce jeune homme au nom prédestiné, qui semble rêver sa vie, en réaliser chaque étape comme un conte de fées. Après avoir fait ses classes aux Etats-Unis, le danseur revient en France par la grande porte de l'Opéra comme chorégraphe.L'Opéra, Benjamin Millepied en avait peur lorsqu'il était enfant. Il fantasmait sur l'Amérique, celle de Baryshnikov, des chorégraphes Jerome Robbins et George Balanchine du NYCB, dont le dynamisme fluide, la musicalité millimétrée le stimulent. "Leur rapport à la musique surtout me fascine. C'est la musique qui motive ma danse, qui la fonde. Je danse parce que j'aime la musique", s'enflamme celui qui interprète aujourd'hui au NYCB tout le répertoire Robbins-Balanchine. Il a 13 ans lorsqu'il décroche l'audition au conservatoire de Lyon.Il débarque de Bordeaux, lesté d'une formation dispensée par sa mère, Catherine Millepied, professeur de danse contemporaine. Il sidère le directeur de l'époque, Philippe Cohen, aujourd'hui à la tête du Ballet de Genève, qui se bat pour lui obtenir une dérogation : il faut avoir 14 ans pour être pensionnaire. "Il était hors de question de laisser filer un talent pareil, glisse Philippe Cohen que Millepied, dont les parents sont séparés, considère "presque comme un père". C'est son intelligence du mouvement et son tempérament qui m'ont frappé. Il est très vif à tous points de vue. C'est lui qui a décidé de devenir danseur classique. Il n'a pas la grosse tête, il crâne juste ce qu'il faut pour faire sa place dans un pays comme les Etats-Unis. Mais il faut qu'il fasse attention à ne pas courir trop de lièvres à la fois."Benjamin Millepied est un veinard. De nombreux anges gardiens l'entourent. "Il sait ce qu'il veut et comment l'obtenir, glisse Guy Darmet, directeur de la Maison de la danse de Lyon, qui fut le premier à le programmer en France, il y a deux ans. C'est très rare qu'un jeune artiste suscite une telle adhésion. Benjamin est un véritable ovni. Sa façon de faire respirer le vocabulaire classique est totalement unique aujourd'hui. Et puis, lorsqu'un danseur vous apporte sur un plateau des pièces de Jerome Robbins, ça ne se refuse pas." Depuis la mort de l'auteur de West Side Story, en 1998, Benjamin Millepied peut diffuser son répertoire, avec l'accord de la Fondation Jerome Robbins. Une carte de visite qui se passe de commentaire. Le maître a fait basculer le parcours de Millepied. "Il m'a surtout appris à être moi-même sur un plateau, dans une relation simple et sincère avec les autres, dans un rapport spontané avec la musique. Avec lui, j'ai aussi compris ce que signifie "less is more"."Ce principe, Benjamin Millepied l'applique à une partition chorégraphique bourrée de difficultés. Au point, parfois, de susciter une crainte : voir les interprètes voler dans le décor. On conserve le souvenir vif de son Casse-noisette (2005), réglé pour le Ballet de Genève. Sur fond de chalet montagnard, la gestuelle de Millepied dérapait entre classique et contemporain, portée par une virtuosité et une urgence très personnelles. "Il faut que ça bouge, bouge. J'adore la virtuosité mais à une condition : que tout soit limpide, lisible."Cette langue chorégraphique très spécifique, certains interprètes de l'Opéra de Paris, en répétition pour Amoveo, l'évoquent "comme une suite de pas imbriqués les uns dans les autres, et non posés côte à côte, ce qui rend la chose difficile mais passionnante". Surtout à la vitesse à laquelle elle doit être exécutée. A voir Benjamin Millepied inventer sa danse sous les yeux du corps de ballet, on comprend l'emballement. En dépit d'une blessure au pied qui date d'il y a deux mois, il déroule une invention ininterrompue, improvise en changeant de cap à la seconde, s'autocritique - "C'est peut-être con ce que je suis en train de faire" - et se félicite dans le même mouvement - "C'est assez délicieux à danser". "Je ne comprends le boulot de chorégraphe qu'en direct dans le studio, insiste-t-il. Impensable pour moi de débarquer avec des trucs déjà faits que les danseurs doivent recopier."Mais d'où vient ce dos ondulant, cette souplesse qui auréolent le moindre pas d'une grâce animale ? "Enfant, j'ai passé cinq ans à Dakar et ma mère me faisait prendre tous les cours de danse africaine possibles. De ce côté-là, j'ai beaucoup donné." Pour ce qui est du ballet, Benjamin Millepied compte encore donner énormément. Parmi ses rêves, la mise en scène de deux fleurons, La Belle au bois dormant et Le Lac des cygnes.
