Mort de Béla Grunberger
Mort Béla Grunberger, psychanalyste du narcissisme Le psychanalyste Béla Grunberger est mort le 26 février. Il avait 101 ans. C'est une page d'histoire du mouvement psychanalytique en France qui se tourne. Celle de ceux qui, tout en ayant une pratique clinique renommée, osaient tenter d'enrichir - en le prolongeant - le corps de doctrine laissé par Freud. Béla Grunberger, par son itinéraire et les langues qu'il maîtrisait, appartenait aussi à la catégorie des passeurs, au carrefour de trois des grands centres de formation et d'activité des trois premières générations de psychanalystes : la Hongrie, l'Allemagne et Paris.Il naît en effet à Nagyvarad (Oradea, en Hongrie) dans une famille juive, en 1903. En 1918, quand la Transylvanie est rattachée à la Roumanie par le traité du Trianon, il émigre en Allemagne puis en Suisse, pour arriver en France en septembre 1939, quand éclate la seconde guerre mondiale. C'est en France qu'il sera formé, après des études de médecine, à la psychanalyse par Sacha Nacht.Pendant l'Occupation, Béla Grunberger vit avec de faux papiers dans la région lyonnaise. Après la guerre, il devient l'une des figures marquantes de la psychanalyse française "orthodoxe", recevant sur son divan des personnalités aussi diverses que son compatriote Nicolas Abraham, la féministe Antoinette Fouque ou encore sa future femme, Janine Chasseguet-Smirgel, avec laquelle il travaillera.Après la rupture provoquée par la scission lacanienne, au début des années 1950, Béla Grunberger demeure dans le giron de la maison fondée par Marie Bonaparte et Rudolph Loewenstein : la Société psychanalytique de Paris (SPP).PARFUM DE SCANDALESon œuvre s'inscrit dans le sillage du disciple hongrois de Freud, Sandor Ferenczi. Son nom reste associé à la théorie du narcissisme, auquel il consacre un ouvrage devenu pour de nombreux psychanalystes un classique (Le Narcissisme, Payot, 1972). Estimant que la vie intra-utérine laisse à l'homme un souvenir d'harmonie et de toute-puissance (qu'il peut vouloir retrouver de façon pathologique, par exemple par la toxicomanie), il plaidait pour que le "noyau narcissique" soit reconnu comme une instance psychique aussi importante que le moi ou le surmoi.Béla Grunberger n'a pas hésité non plus à s'aventurer sur des terrains laissés en friche par la plupart de ses collègues : celui de l'application du freudisme à l'interprétation de l'histoire et des faits sociaux, dont Freud lui-même avait donné l'exemple avec Totem et tabou puis L'Homme Moïse et la religion monothéiste. D'où deux ouvrages à contre-courant qui entourent son nom d'un parfum de scandale. Le premier s'intitule L'Univers contestationnaire ou les nouveaux chrétiens (publié avec Janine Chasseguet-Smirgel sous le pseudonyme d'André Stéphane, Payot 1969, réédité sous le nom véritable de ses auteurs en 2004 par les éditions In Press). Dans des termes qui évoquent certaines analyses des plus réservées sur le mouvement étudiant du philosophe Adorno à la même époque, ce texte met en cause l'"esprit de Mai 1968" assimilé à une révolte narcissique contre l'autorité comparable au fascisme et ramenée à des origines chrétiennes.Dans l'autre essai, plus récent mais dans la continuité du premier, Narcissisme, christianisme et antisémitisme (Actes Sud, 1997), coécrit avec le psychiatre et psychanalyste Pierre Dessuant, il s'est attaqué à l'histoire de la haine anti-juive en proposant l'une des ultimes tentatives d'expliquer ce phénomène à travers une disposition psychologique : un narcissisme fixé régressivement à la vie fœtale, refusant la "maturité œdipienne". Malgré le silence gêné qui avait accueilli ce dernier livre, Béla Grunberger estimait avec ses coauteurs, comme on peut le lire dans l'avant-propos à la réédition de L'Univers contestationnaire, que l'accès de "nouvelle judéophobie" lui avait somme toute donné raison.