Vote BanlieuesBienvenue dans trois mois d'exceptionAlors que les violences refluent, l'Assemblée a voté hier la prolongation de l'état d'urgence jusqu'en février.Spéciale banlieue pour Dominique de Villepin. Alors que la Direction générale de la police nationale évoque «un retour à une situation quasi normale», le Premier ministre a consacré sa journée aux violences urbaines. Et obtenu dans la soirée à l'Assemblée une prorogation de trois mois de «l'état d'urgence» par 346 voix de députés UMP et UDF contre 148 PS et PCF et 4 abstentions. Récit de cette journée où le gouvernement a réussi à placer l'hiver sous couvre-feu.Sur le même sujetLe PS ne couvre plus le couvre-feu«De bons mots, mais ce ne sont que des mots»Etat policier ?22 millions, v'là Chirac !Les émeutes, aubaine policière8 h 30. Les éléphants de la majorité se retrouvent pour un petit déjeuner à Matignon. Tout le monde se félicite de l'intervention, la veille, du chef de l'Etat. Même Nicolas Sarkozy qui parle de «justesse». Le ministre de l'Intérieur précise qu'il travaille à l'élaboration d'un profil des émeutiers. «Au moins 80 %» des individus interpellés seraient des «récidivistes». Christian Poncelet, le président du Sénat, a à peine le temps de beurrer ses tartines que les agapes s'achèvent.9 h 15. Dominique de Villepin quitte la rue de Varenne, direction Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Seul un «pool» de journalistes l'accompagne : le chef du gouvernement se fait discret pour éviter d'être hué et sifflé comme Sarkozy sur les Champs-Elysées samedi. Malgré l'heure matinale, il évite de se promener dans les quartiers difficiles, préférant foncer vers la Maison de l'entreprise et de l'emploi. Pour sa première visite en banlieue depuis le début des violences le 27 octobre, il reste enfermé, écoutant pendant une heure des habitants du quartier. A la sortie, il explique que «tous ceux qui enfreignent les règles doivent être sanctionnés», mais que ceux qui souhaitent «s'en sortir, réaliser leurs projets, trouver un emploi» doivent être accompagnés. Il va ensuite rencontrer des élus à la préfecture de Bobigny. Et revient trop tard à Paris pour participer à la réunion de groupe des députés UMP. Sarkozy n'y est pas non plus.Pendant ce temps-là au groupe socialiste, Jean-Marc Ayrault s'essaie à la synthèse. A 72 heures du congrès du Mans, le président du groupe s'assigne «l'unité» comme seule ligne. Manuel Valls, député de l'Essonne, y déroge : il se prononce en faveur du couvre-feu (lire ci-contre). A l'UDF, François Bayrou et le président du groupe Hervé Morin ouvrent la réunion en étant «plutôt contre» le projet de loi. La discussion entre députés les fait changer d'avis. «On est dans le symbole, explique Morin. On ne pouvait pas apparaître comme ceux qui ne veulent pas le rétablissement de l'ordre républicain.» Ils voteront le texte. Chez les communistes, pas d'état d'âme. Aucun député ne «veut cautionner l'état d'urgence». Marie-George Buffet le signifie en refusant de répondre à l'invitation du Premier ministre à Matignon.14 heures. Tous les autres représentants de groupes, ainsi que les présidents des deux assemblées s'y retrouvent pour une réunion de 45 minutes de pure forme. Interpellé lors des questions d'actualité, le Premier ministre justifie la prorogation de l'état d'urgence pour trois mois en déclarant que «la situation reste difficile dans un grand nombre de quartiers». «Nous ne pouvons pas accepter que plus de 200 voitures» continuent de «brûler chaque nuit», ajoute-t-il. Dans les couloirs, les députés de la majorité ne se bousculent pas pour défendre une loi qui leur semble avant tout symbolique. Le président du groupe UMP, Bernard Accoyer, évoque la possibilité de «légiférer à nouveau» sur le regroupement familial.16 h 30. Les députés commencent l'examen du projet de loi défendu par Nicolas Sarkozy. En dépit de la gravité du sujet, les bancs sont très clairsemés, surtout à l'UMP. A la tribune, le ministre de l'Intérieur demande qu'on «regarde lucidement les faits en face». «Pyromane», lance un député PCF. Sarkozy dégaine ses statistiques et fustige «l'état d'esprit qui a trop longtemps prévalu dans notre pays : celui de la passivité et de l'impunité». Puis il se plaît à dresser le portrait d'un pays, dirigé depuis dix ans par Jacques Chirac, qui «doute, craint le déclassement et désespère de l'avenir». Jonglant entre ses casquettes de ministre, de chef de parti et de candidat à l'Elysée, il en profite pour asséner ses vérités sur la crise du «modèle français» appelant à «rompre et j'emploie ce mot à dessein avec les mensonges (...) derrière lesquels les conservatismes et les blocages prospèrent».Gêné aux entournures, le président du groupe PS, Jean-Marc Ayrault, explique que ses députés ne voteront pas «contre ce projet par angélisme ou parce qu'il émane de votre gouvernement, mais parce que son efficacité ne nous paraît pas adaptée à la situation». Pour l'UDF, Nicolas Perruchot semble tout aussi embarrassé. Il assure que «le couvre-feu n'est pas la condition nécessaire pour rétablir le calme» mais qu'en raison «d'un besoin d'ordre et de paix civile, le groupe UDF acceptera cette prolongation de l'état d'urgence». Son collègue Jean-Christophe Lagarde (UDF), député-maire de Drancy, en Seine-Saint-Denis, ne participera pas au vote puisqu'il «ne s'agit pas aujourd'hui en France d'une situation de guerre civile».Tandis que la droite déserte de plus en plus l'hémicycle, au point de nécessiter une brève suspension de séance par le président de l'Assemblée, Jean-Louis Debré, André Gerin (PCF) dénonce «le lamentable bilan du président de la République». Il évoque «le mur de l'argent», «le capitalisme qui se fait dur, impitoyable» et s'en prend au «règne de l'aristocratie, de la rente et autres nababs du show-biz et du sport». Cette leçon de néomarxisme et une nouvelle vague d'orateurs finissent d'exaspérer le ministre de l'Intérieur qui quitte les débats à plusieurs reprises. Une ultime foucade de Noël Mamère (Verts) rappelant le caractère «colonial» de la loi d'exception n'y change rien : la France se retrouve sous couvre-feu potentiel pour trois mois supplémentaires.
