Exposition Aux Invalides, les grandes heures des graphistes polonais Cassandre est également à l'honneur à l'hôtel des Invalides. Il figure, pipe au bec, l'air goguenard, au centre d'une composition de Roman Cieslewicz, l'illustre affichiste polonais qui fit une partie de sa carrière en France. A deux pas du tombeau de Napoléon, la BDIC associée au Musée de l'affiche de Wilanow consacre une rétrospective (1945-2004) à ce qu'on a appelé l'école polonaise. Un grand nombre d'affiches, à découvrir dans un accrochage un peu trop serré, rendent compte de la célébrité considérable des graphistes de la Vistule. L'exposition permet de mieux comprendre l'histoire de ce creuset né de la propagande, qui a ensuite pris le chemin de la contestation, avant de s'essouffler avec l'émergence d'une société consumériste. Les affichistes furent d'abord mobilisés par le régime prosoviétique pour célébrer "l'avenir radieux". En 1945, les choix étaient limités. Presque tous s'engagèrent dans cette voie. "L'école polonaise de l'affiche, écrit Stanislaw Stopczyk, fait son apparition dans un pays vivant sous le joug de l'appareil gigantesque de la propagande communiste, avec son obsession de la vigilance prolétarienne, son allergie à tout ce qui paraît équivoque et sa méfiance pathologique pour toutes les sortes de métaphores. La grande affiche polonaise est née là où un monopole omnipotent et la pénurie permanente des marchandises et des services ôtaient à l'affichiste le terrain favorable de l'affiche publicitaire pour l'exercice de son métier." Au début des années 1950, grâce à l'enseignement à l'Ecole des beaux-arts de Jozef Mrozsczak et Henryk Tomaszewski, elle se taille une place au sein du réalisme socialiste triomphant. Avec quelques réalisations saisissantes, que l'on retrouve aux Invalides, comme celles du Non, contre les menaces de la guerre atomique, ou Varsovie, sur la reconstruction de la ville, toutes deux signées Tadeusz Trepkowski. "JEANNE D'ARC AU BÛCHER" Ces affichistes n'avaient pas oublié la leçon du constructivisme, du photomontage et de l'expressionnisme qui s'étaient épanouis entre les deux guerres dans la Pologne du général Pilsudski. Ils vont la transmettre. Des créateurs, nés aux environs de 1930, entrent en scène : Roman Cieslewicz, Jan Lenica, Jan Mlodozeniec, Franciszek Starowieyski... Les années 1960 sont l'âge d'or de l'affiche polonaise. D'autant que le régime relâche sa pression. La fantaisie, la déstructuration, l'expressionnisme, l'abstraction s'imposent. Cette production ne s'étale pas dans la ville, mais dans les lieux culturels gagnés par la contestation. Les créateurs se tournent massivement vers le cinéma (L'Homme de marbre, de Marcin Mroszczak), la musique (Le Violon sur le toit, de Wieslaw Walkuski), le théâtre (Exodus, de Jan Sawka), l'opéra (Jeanne d'Arc au bûcher, de Waldemar Swierzy), le cirque (Maciej Urbaniec), pour trouver un second souffle. Les oeuvres de Witold Gombrowicz, longtemps interdites, font l'objet d'une intense production. Vers 1980, le régime commence à imploser sous l'action du syndicat Solidarnosc, dirigé par Lech Walesa, dont le logo, d'un graphisme remarquable, va être décliné de mille manières. Il est, par exemple, inscrit par le graphiste Czeslaw Bielecki au bout d'une feuille de température où chaque pic porte la date d'un soulèvement ouvrier. La politique regagne l'affiche : les trois croix de Michal Wieckowski célèbrent les massacres de 1970. Pour le 1er mai 1983, une célèbre affiche socialiste de Wlodzimierz Zakrzewski (1955) est détournée par Solidarnosc : le timonier symbolisant le Parti communiste lui adresse un bras d'honneur. Aujourd'hui, l'affiche polonaise, qui a reconquis sa liberté, continue sur sa lancée. Au risque de se diluer. Elle est descendue des murs de la ville pour s'abriter dans les galeries, et ses gloires anciennes se retrouvent chez les collectionneurs ou dans les musées. "L'Affiche polonaise de 1945 à 2004", Musée d'histoire contemporaine-BDIC, hôtel national des Invalides, cour d'honneur, Paris-7e. Métro Invalides. Tél. : 01-44-42-38-39. Du mardi au samedi de 10 heures à 13 heures et de 14 heures à 17 h 30, le dimanche, de 14 heures à 17 h 30. Jusqu'au 4 décembre. De 3 € à 5 €. Catalogue sous la direction de Maria Kurpik et de Jean-Claude Famulicki, coéd. La Découverte/BDIC/Musée de l'affiche de Wilanow, p.192, 35 €.