Annonce Au Pérou, la mine de Santa Filomena n'exploite plus les enfants En 1998, seuls 40 des 500 jeunes que comptait Santa Filomena, une communauté minière perdue du sud du Pérou, allaient à l'école. Les autres travaillaient, comme 50 000 autres enfants au Pérou. Aujourd'hui, grâce à l'Organisation internationale du travail (OIT), une ONG, et l'appui des parents, plus aucun enfant ne travaille dans les mines d'or de Santa Filomena. 250 millions d'enfants travaillent, selon l'OIT Dans un rapport consacré au travail des enfants, qui devait être rendu public jeudi 9 juin, l'Organisation internationale du travail (OIT) estime que 250 millions d'enfants travaillent dans le monde et que 179 millions d'entre eux un sur huit sont victimes des "pires formes de travail" , dans des conditions dangereuses. Le 12 juin 2002, l'OIT avait lancé, pour la première fois, une Journée mondiale contre le travail des enfants. Cette année, l'accent est mis sur le travail dans les mines qui concerne, selon l'OIT, près d'un million d'enfants âgés de 5 à 17 ans. Il y en aurait 500 000 en Amérique du Sud et 50 000 au Pérou, dans les mines d'or. Sur certains sites miniers, les enfants travaillent jusqu'à 90 m de profondeur et posent des charges explosives dans des boyaux instables. En surface, ils plongent dans les rivières, creusent le sable ou réduisent des blocs de pierres en gravier, usant d'instruments inadaptés. Ces enfants, dont la vie est constamment en danger, sont aussi victimes de blessures et de malformations vertébrales liées au transport de lourdes charges. (Corresp.) [-] fermer "Ce que je voudrais faire dans la vie ? Devenir médecin" , sourit timidement Edith, 14 ans, les joues rougies par le soleil, souvent ravageur à 2 000 m d'altitude. Dans quelques minutes, elle retrouvera les quelque 700 élèves qui fréquentent l'école de Santa Filomena, îlot de vie dans ce désert de pierres, à plus de deux heures de bus du premier village. Après les cours, elle ira retrouver ses amies pendant que les garçons joueront au football. Etudier, jouer : tel est désormais le quotidien des enfants de la communauté. Cela n'a pourtant pas toujours été le cas pour ces fils et filles de mineurs... Edith ne risque pas de l'oublier. Il y a à peine trois ans, cette petite brune est tombée gravement malade. Les docteurs ont décelé de l'eau dans ses poumons, une maladie due à l'extraction de minéraux qu'elle a effectuée, des années durant, sur les hauteurs de la mine d'or. L'adolescente avait moins de 6 ans quand elle s'est installée avec ses parents et ses cinq frères dans cette région d'Ayacucho. Comme les quelque 2 000 personnes vivant aujourd'hui dans les campements précaires formant la communauté, la famille d'Edith cherchait à fuir le chômage et le terrorisme qui touchaient alors l'ensemble du pays. Dès leur arrivée, la fillette a commencé à aider sa mère dans les champs. Toutes les jeunes filles travaillaient. Armées d'un petit outil en fer, elles raclaient les pierres pendant des heures, pour en extraire les minéraux. "C'était un travail un peu dur, admet Edith, mais je ne me plaignais pas. Je ne me suis jamais plainte, car je savais que je devais aider mes parents." Le revenu paternel ne suffisant pas, toute la famille devait se mettre au travail pour survivre. "Parfois, mon père ne pouvait pas nous acheter de vêtements. En travaillant, je pouvais l'aider à payer quelques dépenses" , justifie Edith. Les garçons, eux, broyaient les minéraux ou, dès 11 ans, servaient de porteurs : un sac de 35 kg sur le dos, les petits hommes remontaient tant bien que mal les pierres du fond de la mine, qui pouvait aller jusqu'à 250 m de profondeur. Ainsi passaient les journées d'Edith et des autres enfants de Santa Filomena... jusqu'en 1998 et l'arrivée de CooperAccion. Cette organisation non gouvernementale (ONG) péruvienne souhaitait mettre en place un programme de développement local financé par l'OIT, avec comme principal objectif l'éradication du travail des enfants. CooperAccion proposait ainsi une aide financière et matérielle aux mineurs en contrepartie de laquelle la communauté acceptait de ne plus faire travailler les enfants. Face aux réticences des mineurs, qui ne voulaient pas se priver du revenu de leur progéniture, un bilan de santé a été fait auprès de la population : taux de mercure dans le sang au-delà des limites tolérées, colonnes vertébrales abîmées, douleurs corporelles... Les résultats catastrophiques chez les enfants ont suffi à prouver aux parents les dangers du travail infantile. PREMIÈRE VICTOIRE Ensemble, les membres de l'ONG et de la communauté ont cherché des solutions de remplacement. Dès 1999, la mise en place de câbles tractant les minéraux des sous-sols à l'air libre a rendu la présence des garçons dans la mine inutile. A cette première victoire s'est ajoutée la construction d'une école, donnant aux moins de 18 ans l'alternative au travail tant attendue. "Pourtant, cela ne suffisait pas de créer une école, de changer les comportements culturels, il fallait aussi augmenter le niveau de vie des adultes pour que l'éradication du travail des enfants s'inscrive dans la durée" , insiste Maria Kathia Romero, chargée du projet pour CooperAccion jusqu'en 2004, et désormais assistante du programme international pour l'éradication du travail infantile à l'OIT. C'est chose faite depuis juin 2004 : la Société des travailleurs de la mine artisanale de Santa Filomena (Sotrami) dispose ainsi de sa propre usine pour exploiter l'or, synonyme de meilleur revenu pour l'ensemble des mineurs de la communauté. Aujourd'hui, le travail infantile est interdit sur l'ensemble du site et la Sotrami, avec l'aide des parents, veille à ce qu'aucun enfant n'entre dans la mine sous peine de sanctions appliquées à sa famille. "Le destin de ces jeunes n'est plus tout tracé. Ils peuvent envisager un autre futur que celui qui jusqu'ici leur était réservé à Santa Filomena" , constate fièrement Victor Hugo Pachas, un des membres du programme de CooperAccion. Du haut de ses 11 ans, Kevin assure qu'il sera professeur ; Yessinya, son amie, infirmière. Aucun enfant de Santa Filomena ne veut désormais laisser passer sa chance car, malgré leur jeune âge, ils savent qu'à seulement quelques kilomètres de là, dans la mine de San Luis, les enfants continuent à travailler chaque jour, à la recherche de quelques grammes d'or. Comme 500 000 autres enfants en Amérique du Sud.