Crise Au moins 300 morts dans les combats contre une rébellion venue du Darfour. N'Djamena écrase l'offensive des rebelles au Tchad Les portes des salles de soins ne cessent de s'ouvrir et de se fermer dans le couloir de l'hôpital d'Adré, ville tchadienne frontalière avec le Soudan. La chaleur de la mi-journée ne semble pas accabler les femmes qui viennent apporter de la nourriture aux blessés de guerre. Des soldats tchadiens, kalachnikov à l'épaule et chèche jaune autour du visage, viennent visiter leurs camarades blessés lors des combats de dimanche. «Les plus violents depuis deux ans», raconte un militaire. Les rebelles tchadiens venus du Darfour soudanais ont attaqué à l'aube, puis à nouveau vers 15 heures. Depuis quarante-huit heures, le bilan n'a cessé d'être revu à la hausse par les autorités tchadiennes. D'une centaine de morts, on est passé à 300, dont une dizaine seulement côté gouvernement. Déstabiliser. Cette zone du Tchad connaît, depuis plusieurs semaines, des escarmouches imputées par N'Djamena à un nouveau mouvement rebelle, le Rassemblement pour la liberté et la démocratie (RDL). Selon le Tchad, ce mouvement est soutenu par le Soudan qui cherche à déstabiliser le régime du président Idriss Déby, dominé par les Zaghawas. Or, cette tribu, à cheval sur les deux pays, est en guerre au Darfour avec le pouvoir central soudanais. Depuis le début de la guerre au Darfour, en février 2003, le président soudanais et son homologue tchadien ne cessent de s'accuser mutuellement de soutenir des rébellions, respectivement arabe et zaghawa. En avril, le Tchad avait déjà accusé le Soudan d'armer 3 000 rebelles tchadiens au Darfour, prêts à lancer l'assaut contre N'Djamena. Quelques heures après le début des combats de dimanche, le Tchad s'est empressé de réitérer ses griefs, se réservant un «droit de poursuite sur le territoire soudanais». Au lendemain des affrontements d'Adré, le général Alifa Weddeye, qui commande les opérations militaires, s'est rendu sur le théâtre des combats avec quelques journalistes dont celui de Libération. Des Jeep calcinées par des tirs d'obus jonchent la brousse desséchée. Des dizaines de cadavres de rebelles, déchaussés, gisent dans l'herbe. Certains portent un uniforme de l'armée tchadienne avec l'écusson bleu jaune et rouge du drapeau national. Un fin turban rouge noué autour de la tête est censé les différencier des forces gouvernementales et signale leur appartenance à la rébellion du RDL. Un corps ensanglanté gît au pied du mur d'enceinte protégeant la résidence du préfet d'Adré, dont les fenêtres donnent sur la frontière, située à seulement quelques mètres. «Un déserteur», assène un colonel de l'armée tchadienne. Désertions. Les autorités locales affirment avoir fait plus d'une vingtaine de prisonniers. Aux journalistes, on en exhibe onze, apeurés et habillés en civil. Certains se disent soudanais. «Je vendais du sucre pour survivre, et puis on m'a proposé d'être chauffeur. J'ai accepté, mais je ne savais pas que je travaillais pour la rébellion», avance l'un d'eux. Un autre avoue avoir déserté la garnison tchadienne d'Adré il y a six jours pour obéir à son «patron», un commandant ayant rejoint la vague de désertions qui dure depuis début octobre. Les commerçants n'ont pas cessé leurs allées et venues vers la frontière, mais ils sont désormais escortés par une ou deux Jeep remplies de militaires. «Tout le monde est armé», confie un habitant. Adré est un poste stratégique : «Si Adré tombe, c'est la ligne droite vers Abéché.» Le dispositif a été renforcé de manière impressionnante. A la tombée de la nuit, on aperçoit des sentinelles tapies derrière un rocher sur une colline. Sur la route, à la sortie d'Adré, des véhicules camouflés de l'armée française provenant du détachement français d'Abéché ont aussi été prépositionnés. Réfugiés. Un millier de soldats français sont présents au Tchad dans le cadre de l'opération «Epervier». Depuis deux ans, ils effectuent des tournées frontalières, officiellement pour protéger l'est du Tchad qui accueille plus de 200 000 réfugiés du Darfour. «Officieusement, pour empêcher la chute du régime Déby», estime un opposant tchadien. Ces dernières semaines, le dispositif a été nettement renforcé, y compris par des éléments français dépêchés depuis Libreville, au Gabon.