Annonce Au Liberia, l'élection présidentielle soulève un grand espoirtreize ans, George avait été précipité dans la guerre. Sous le nom de "X-Ray", il avait rejoint une milice armée. "Ils nous harcelaient, je n'ai pas eu le choix", dit-il. Cette année, il vient d'atteindre l'âge de la majorité 18 ans et d'être scolarisé à l'école primaire dans une classe équivalente au CM1, après avoir rendu sa kalachnikov contre les 300 dollars promis par le programme de désarmement de l'ONU au Liberia. "X-Ray George" arbore un rutilant maillot de foot vert et se définit comme "étudiant". Il refuse d'évoquer les horreurs qu'il a vues, voire commises, préférant brandir la carte d'électeur plastifiée dont il compte se servir, mardi 11 octobre.Lequel des 22 candidats à la présidentielle ce vétéran aux allures d'adolescent a-t-il choisi ? L'un des deux anciens "seigneurs de la guerre" qui s'y présentent ? Les vieux politiciens puissamment financés par le "milieu des affaires" qui s'y bousculent ? Le représentant officiel du parti de Charles Taylor, le chef de guerre qui mit le Liberia a feu et à sang avant d'être élu en 1997 puis chassé en 2003 par une rébellion soutenue par les Américains ? Il y a aussi Ellen Johnson-Sirleaf, une diplômée de Harvard, vieille opposante à la dictature de Samuel Doe (1980-1989) un temps ralliée à Taylor, ou encore George Weah, star du football, Ballon d'or 1995, ex- "ambassadeur" de l'Unicef et favori de la présidentielle ?"LA VILLE LA PLUS SOMBRE""Mon vote, c'est mon secret", sourit George, préférant s'inquiéter de la criminalité qui monte dans le vaste squat où, comme un millier de "personnes déplacées", il vit dans une ambiance de désolation et une odeur de pourriture. Au bord de la route qui mène à l'aéroport, les quatre étages de béton calcinés ne dépareillent pas dans le paysage d'une capitale en ruine, où les bâtiments publics sont traversés par le vent, et les réseaux d'eau et d'électricité guère plus qu'un souvenir. "La ville la plus sombre de toute l'Afrique", résume un commerçant. Mais la carcasse de l'ancien ministère de la santé où vivent George et sa famille, elle, est surpeuplée.Des centaines d'anciens "fighters" -combattants-, isolés ou en famille, y ont pris racine. Pour eux, comme pour le million et demi de Libériens (dont 85 % de chômeurs et 65 % d'illettrés) appelés aux urnes mardi pour un scrutin surveillé par 15 250 casques bleus, les élections présidentielle et législatives constituent une rupture bienvenue dans leur oisiveté généralisée. Le vote soulève l'espoir d'une existence nouvelle après quatorze années d'une guerre civile aux ressorts ethniques, qui aurait fait 250 000 morts."Je répète à mes enfants que le temps de la guerre est terminé, mais ils ont du mal à me croire. Ils ne respectent plus rien, ils sont traumatisés" , témoigne Augustus Tarpar, 40 ans, qui vend quelques légumes à l'entrée du squat. Lui-même votera pour dire "aux politiciens qui ont enrôlé -ses- enfants" qu'il est "fatigué de la guerre" . Sur les murs lépreux, les affiches de plusieurs candidats cohabitent sans se recouvrir, comme sur tous les murs de Monrovia. Dans la ville parsemée de blindés et sillonnée par les 4 × 4 blancs de l'Unmil, la mission de l'ONU au Liberia, la campagne électorale reflète un étonnant fair-play. Les partisans des différents candidats se croisent en arborant T-shirts et autocollants de leur champion sans agressivité.Nelson Sumo, 27 ans et regard buté d'ancien membre d'une "unité antiterroriste" sous Charles Taylor, confie qu'il votera pour Roland Massaquoi, candidat du National Patriotic Party de l'ancien président, tout en serrant dans ses bras sa dernière née. L'ancien "officier" en cours de "réhabilitation" dans l'agriculture n'est "pas sûr que la guerre soit totalement terminée" , et se dit convaincu, comme beaucoup, que de nombreuses armes continuent de circuler dans le pays pacifié seulement par les forces onusiennes.L'aspiration à la paix domine pourtant massivement la campagne électorale. Sans avouer explicitement son vote en faveur de George Weah, le père de famille épicier du squat note que l'ancien footballeur est "le seul candidat qui n'a rien à voir avec la guerre" et "le seul millionnaire libérien à avoir fait fortune autrement que par la menace" . Le jeune " X-Ray George" insiste : "George Weah est innocent de tout ça -la guerre-", et finit par lâcher : "Je serais fier s'il gagnait."De l'immense cortège enfiévré et désordonné qui, samedi 8 octobre, accompagne l'ancien footballeur de sa maison vers le lieu de son dernier meeting de campagne, monte un immense espoir, comme une prière commune. "Oh, Weah !" , psalmodie la foule tout au long des kilomètres d'une kermesse d'inspiration religieuse."C'EST NOTRE MOÏSE""Nous sommes le peuple. Il est venu pour nous sauver, proclament, sous une chaleur écrasante, des dizaines de milliers de marcheurs dont les plus jeunes n'ont pas 15 ans . C'est notre Moïse : il a traversé la mer pour nous sauver." Une pancarte appelle à voter pour "le Messie", une autre le représente en toge, brisant les chaînes du peuple libérien. Partout retentit le cantique Nous te suivons sans retour. Sur un rythme de reggae, la foule reprend "stop à la corruption des hommes politiques" et, surtout, scande "Il n'a pas tué papa, il n'a pas tué maman. Nous votons pour lui". Un slogan qui reprend en l'inversant le célèbre "J'ai tué ton père, j'ai tué ta mère. Vote pour moi si tu veux la paix", qui fit élire Charles Taylor en 1997.Avec deux heures de retard, protégé par un service d'ordre d'une parfaite inefficacité, le "président Weah" , comme l'appellent déjà ses partisans, vient s'asseoir entre son épouse et sa mère sous le kiosque où a lieu un concert de reggae devant une foule dense, en dévotion. A sa principale adversaire, Ellen Johnson-Sirleaf, qui brocarde son niveau d'éducation primaire et son inexpérience politique, l'ex-buteur de Monaco et du PSG rétorque en pointant le désastre où les précédents dirigeants "éduqués" du Liberia ont conduit le pays. George Weah va même jusqu'à citer Socrate pour assimiler la véritable éducation aux qualités morales qu'il revendique : l'intégrité, la générosité et le respect envers "les masses opprimées (...)" .Pour la plupart des observateurs, l'élection devrait se jouer entre ces deux candidats. Un tel duel entre un "George Weah superstar" et une candidate bardée de diplômes américains qui joue la figure rassurante d'une "Mamie Ellen" recouvre aussi la terrible fracture originelle de la société libérienne. Celle qui, presque deux siècles après la fondation du pays par des esclaves américains affranchis, continue d'opposer les héritiers de ces "Americos" (5 % des 3 millions d'habitants) aux descendants des indigènes qu'ils n'ont cessé de dominer.
