Arrestation Au Japon, le crépuscule d'un génie des échecs Disparu de la scène internationale depuis 1975, le légendaire champion du monde d'échecs, Bobby Fischer, a été arrêté au Japon la semaine dernière. Colérique, excentrique, provocant et antisémite, Robert James Fischer est l'Américain qui a mis un terme à la domination soviétique sur les échecs mondiaux. Interpellé mardi dernier à l'aéroport international de Tokyo-Narita par les services de l'immigration, il s'apprêtait à s'envoler pour Manille. Mais son passeport n'était plus valide, révoqué en décembre 2003 par les autorités américaines. Sous le coup d'un mandat d'arrêt, «King Bobby» devrait être expulsé prochainement vers son pays d'origine et risque dix ans de prison. Il est poursuivi pour avoir violé en 1992 l'embargo économique de l'ONU en vigueur dans l'ex-Yougoslavie. Bobby Fischer avait accepté d'y disputer une revanche contre Boris Spassky, un match pour lequel il a encaissé 3,35 millions de dollars. Il se réfugie alors dans une semi-clandestinité et voyage entre l'Europe et l'Asie de façon régulière. C'est l'histoire d'un enfant solitaire, né à Chicago en 1943 et élevé à Brooklyn par une mère divorcée. A 6 ans, sa soeur l'initie aux échecs. Le jeu devient très vite son unique passion. Adolescent prodige, il remporte à 14 ans les championnats juniors et seniors des Etats-Unis et devient à 15 ans le plus jeune candidat à la couronne mondiale. Il abandonne l'école et entame un parcours époustouflant. Son ascension l'amène irrésistiblement face au Russe Boris Spassky, champion du monde et invaincu depuis 1969. La consécration de Fischer a lieu à Helsinki en 1972. Le génie américain hypnotise Spassky et remporte un championnat d'anthologie, devenu le symbole de la guerre froide, bien que Bobby Fischer n'ait jamais exprimé un quelconque sentiment patriotique. Le prestigieux titre que l'URSS détenait sans interruption depuis 1948 est alors aux mains d'un joueur déroutant, aux exigences financières extravagantes. Il va même jusqu'à contester les règles de la Fédération internationale des échecs (Fide) qui lui retire son titre en 1975 et l'attribue à son rival soviétique, Anatoli Karpov. En pleine guerre froide, Fischer était donc apparu à ses compatriotes comme l'un des symboles de la lutte contre le communisme. Pourtant, des années 40 jusqu'au début des années 70, le FBI avait mis sa famille sous surveillance. Les services secrets soupçonnaient sa mère, Régina Fischer, d'espionnage et suspectaient l'ennemi soviétique de vouloir recruter son fils. Avant de réapparaître en 1992, Fischer vivra reclus pendant près de vingt ans. Il échappera aux médias et refusera les offres alléchantes des organisateurs de tournois. Aujourd'hui, «il ne veut pas retourner dans des Etats-Unis contrôlés par les juifs et où l'attendent un tribunal d'exception, dix années dans une prison fédérale et une probable mort prématurée, tout ça en raison d'accusations politiques truquées», a déclaré récemment Miyoko Watai, présidente de la Fédération japonaise des échecs et amie de Fischer. Convaincu qu'il n'échappera plus à la justice, «le monarque», âgé de 61 ans, cherche désormais l'asile politique «dans un pays ami».
