Annonce Au Chili, la nouvelle loi autorisant le divorce provoque une ruée dans les tribunaux Les plaintes de femmes maltraitées se multipliaient depuis trois ans, brisant le tabou de la violence domestique. L'Eglise catholique a fait campagne contre la dissolution du mariage. Santiago de notre envoyée spéciale Maltraitée, battue, humiliée par son mari, Victoria Torres a dû attendre vingt-cinq ans pour pouvoir divorcer au Chili, le dernier pays occidental à s'être doté d'une législation autorisant la dissolution des liens du mariage. A 47 ans, Victoria, qui travaille dans un salon de coiffure de Santiago, a retrouvé le sourire. Elle a été la première plaignante à se présenter dès 8 heures du matin aux portes de la cour d'appel de Santiago pour déposer sa demande de divorce. "Il y a eu une cinquantaine de démarches le premier jour, et c'est une avalanche qui pourrait aller jusqu'à 50 000 demandes dans les prochaines semaines", a précisé l'avocate Julia Acevedo Muñoz, qui assure la défense de Victoria, vendredi 26 novembre. "Le Chili a vécu pendant cent vingt ans dans l'hypocrisie, avec plus de 50 000 Chiliens qui vivent séparés, souligne-t-elle. Un enfant sur deux naît en dehors de relations matrimoniales." La nouvelle loi, entrée en vigueur le 18 novembre, remplace un texte datant de 1884 qui admettait la séparation mais pas le divorce. Ceux qui en avaient les moyens économiques pouvaient obtenir l'annulation de leur mariage moyennant le recours à des avocats spécialisés. "Il suffisait que l'on démontre une erreur dans le nom ou l'adresse d'un des conjoints ou de leurs témoins", rappelle Cecilia Perez, ministre du service national de la femme dans le gouvernement de centre-gauche de Ricardo Lagos. La loi prévoit désormais le divorce immédiat en cas de violences, alcoolisme, toxicomanie et homosexualité, un délai d'un an pour un divorce à l'amiable et de trois ans de séparation pour un divorce demandé par l'un des conjoints seulement. Elle tient compte de la durée de séparation entre les époux à la date d'entrée en vigueur de la loi. Pendant des années, Victoria Torres avait dénoncé la violence dont elle était victime, mais la justice n'avait pas donné suite. Elle attribuait cela au fait que son mari avait travaillé pour un service de sécurité pendant la dictature d'Augusto Pinochet (1973-1990). La grande majorité des demandes de divorce ont été présentées par des femmes maltraitées, révélant une violence familiale jusqu'alors taboue. Les plaintes ont augmenté de plus de 25 % depuis trois ans. Victoria va obtenir dans les prochains mois le divorce, mais elle a aussi réclamé une compensation économique à son ancien conjoint. Sa demande est appuyée par le ministère, qui lui assure une assistance juridique gratuite. "La loi est un immense pas en avant dans un pays aussi conservateur que le Chili", affirme Juan Andres Orrego, professeur de droit civil. Il ajoute cependant que, pour un large secteur de la population, les frais de divorce - 1 300 euros au minimum - restent très élevés. "Pour que cette loi soit parfaitement appliquée, il faudra attendre l'entrée en fonction des tribunaux de famille, qui ne se fera qu'en octobre 2005", estime-t-il. "Les juges et les avocats ne sont pas préparés pour appliquer la nouvelle loi", renchérit maître Acevedo Muñoz, mettant en garde contre le boom des petites annonces d'avocats soi-disant "spécialisés" dans les divorces. Le Chili devra aussi "trouver un cadre juridique pour les jeunes couples qui, de plus en plus nombreux, choisissent de vivre ensemble sans se marier", pointe le professeur Orrego. PRESTIGE MORAL Le divorce a donné lieu pendant plus de dix ans à de violents débats parlementaires. Les plus farouches opposants faisaient partie de la droite qui avait soutenu le général Pinochet et l'Eglise catholique, qui a menacé d'excommunier les législateurs appuyant la loi. En 2003, l'Eglise avait lancé une campagne affirmant que les enfants de couples séparés sont plus violents et consomment plus de drogue et d'alcool que les autres. Très puissante - 75 % des 15 millions de Chiliens sont catholiques -, l'Eglise jouit du prestige moral acquis pour son rôle en faveur des droits de l'homme pendant la dictature militaire, à travers le Vicariat de la solidarité. "Après avoir été aux côtés des plus pauvres pendant la dictature, l'Eglise a opéré un virage conservateur au retour de la démocratie, pour récupérer les secteurs sociaux plus traditionnels", explique le professeur Orrego. Christine Legrand Les enfants Pinochet s'expriment sur la dictature Les violations des droits de l'homme commises au Chili sous la dictature d'Augusto Pinochet (1973-1990) étaient le fait de quelques individus et non d'un système, a déclaré la fille aînée du général, Lucia Pinochet, au quotidien El Mercurio, dimanche 28 novembre. "Ce ne fut pas institutionnel, ce furent des abus de pouvoir individuels, a-t-elle affirmé. Dans ce que l'on appelle la démocratie, il y a aussi des abus, peut-être pas autant mais il y en a." Dans La Tercera de la même date, Marco Antonio Pinochet, l'autre enfant du général, a critiqué l'ancien dictateur pour avoir ouvert des comptes secrets aux Etats-Unis, sur lesquels auraient transité 15 millions de dollars. "Mon père a agi de manière irresponsable, a-t-il dit. Je ne crois pas à des malversations." Cependant, "la découverte des comptes de mon père a été un revers beaucoup plus dur que son arrestation à Londres -1998-, admet Marco Antonio Pinochet. Il est difficile de défendre mon père sur ce dossier". - (AFP.)