Exposition Artistes ludiques de Los AngelesLos Angeles étant la banlieue d'Hollywood, il est logique que la clé de l'exposition "Los Angeles 1955-1985" au Centre Pompidou, à Paris, soit donnée par Garage Sale (brocante à domicile), vidéo de Bruce et Norman Yonemoto de 1976. Un soir de vernissage, le galeriste présente "un artiste extraordinaire, Bob Opel". Il continue : "Je sais que vous avez tous suivi sa carrière (...). Expressionnisme abstrait, minimalisme, conceptualisme, (il) a tout essayé. Dans un monde artistique troublé et pourrissant, Bob Opel (...) va faire déferler sur nous une nouvelle onde de choc culturelle et artistique." Entre un barbu seulement vêtu d'une cape de plastique transparent qui déclame : "Chickoree chick chala chala/Checkalaromi dans un Bananica/Bollicka wallicka, ne vois-tu pas/Chickoree chick, c'est moi."Le ton est donné. L'art de la cité des anges s'inscrit dans les courants successifs de la création contemporaine, mais sur le mode distancié : ironie, dérision, burlesque. Cette liberté railleuse va de pair avec le sens de la réalité la plus triviale et le soin de l'exécution. Garage Sale maîtrise les techniques du cinéma - Norman Yonemoto s'est formé dans le porno - et les met au service d'une histoire disloquée. L'horrible, l'obscène, le comique et l'absurde s'y entrelacent.A New York, au même moment, l'art se veut essentiellement intellectuel et épuré. Il est souvent systématique, pédant aussi parfois. Pas ici. C'est affaire de géographie, de culture plus mélangée, plus hispanique, moins puritaine. C'est affaire de climat plus clément, d'espace bien plus vaste et de contexte : Hollywood, l'industrie de l'image et ses artifices. Comme elle finit sur Garage Sale, l'exposition s'ouvre sur une toile d'Ed Ruscha de 1962, l'enseigne de la 20th Century Fox en capitales rouges sur fond de projecteurs et de nuit.Entre les deux se développe un parcours qui évoque le plan géométrique de la ville. Catherine Grenier, commissaire de l'exposition, l'a conçu chronologique et stylistique pour ordonner une centaine d'artistes et plus de deux cents oeuvres de toutes sortes. L'imaginaire Bob Opel aurait donc traversé l'expressionnisme abstrait, le minimal et le conceptuel, pour découvrir la poésie sonore et la performance néo-dadaïste. La fable est juste. L'expressionnisme abstrait ne subsiste en Californie et dans l'exposition qu'à l'état de traces : deux toiles de Sam Francis. Le minimalisme est à peine plus présent et le conceptuel détourné de la conception qu'énonce, à New York, Joseph Kossuth. Ce qui importe, ce sont les objets, la ville, l'architecture, les avenues, les gens, la vie.RELIQUAIRES DÉGLINGUÉSQuand Joe Goode, en 1961-62, juxtapose deux rectangles de deux bleus différents, il n'obtient pas une abstraction géométrique, puisqu'il pose devant sa toile une bouteille de lait, elle aussi bleuie. Au même moment, Wallace Berman et George Herms assemblent objets, débris et images pour des reliquaires déglingués du présent - ou du passé proche quand Ed Bereal réalise Focke-Wulf FW 109, sculpture métallique noirâtre marquée de la croix gammée. L'allusion au nazisme est évidente. L'allusion aux religions et à la morale ne l'est pas moins dans The Illegal Operation d'Edward Kienholz, évocation d'un avortement clandestin.Tout n'est pas léger et heureux dans ce monde ultramoderne. Si David Hockney vient de Londres y peindre milliardaires et beach boys, Vija Celmins peint des coups de feu. En mai 1965, après l'assassinat d'un automobiliste noir par un policier blanc, éclatent les émeutes de Watts. Le quartier brûle, les incendies touchent le centre de la ville, les émeutiers crient "Burn, baby, burn". Ruscha met alors en chantier l'une de ses toiles emblématiques, l'incendie imaginaire du Los Angeles County Museum. Quand il ne peint pas, il cartographie par la photo aérienne les espaces urbains découpés en autoroutes et en parkings.Ces lieux, Baldessari les parcourt au même moment en automobiliste rôdeur. En 1984, il construit Kiss/Panic, photomontage d'armes, et reprend l'idée l'année suivante dans Buildings = Guns = People, dont le titre est explicite. Dans cette métropole meurtrière où il est facile de se perdre, Bas Jan Ader circule la nuit pour des photos en noir et blanc que l'on croirait tirées du Mulholland Drive de David Lynch. A partir de 1972, Chris Burden accomplit ses premières performances provocatrices : se faire tirer une balle dans le bras, feindre un accident de la circulation. Michael McMillen reconstitue des intérieurs de bars à l'abandon, à observer par le trou de la serrure : du Duchamp sale, tout près des snuff movies.Chaque fois, quel que soit le mode d'expression, l'oeuvre est saturée de signes et d'allusions aux réalités du moment. La proximité des usines à rêves d'Hollywood rend les artistes d'autant plus sensibles au monde tel qu'il est. Jim Shaw détourne les codes du dessin animé enfantin, Raymond Pettibon ceux de la BD policière, McCarthy se saisit du porno et du burlesque et Kelley invente sa Monkey Island (l'île des singes). En 1984, il réalise Godzilla on The Beach, performance ciné-grotesque. Il est alors secondé par Bruce et Norman Yonemoto - les auteurs de Garage Sale, naturellement."Los Angeles 1955-1985. Naissance d'une capitale artistique", Centre Pompidou, Paris-4e. Tél. : 01-44-78-12-33. Du mercredi au lundi, de 10 heures à 21 heures ; jeudi jusqu'à 23 heures. Jusqu'au 17 juillet. 10 euros. Catalogue sous la direction de Catherine Grenier, 400 p., 600 ill., 44,90 euros.
