Mort d'Artie Shaw :

Mort Artie Shaw : swing, romances et symphonies - Le légendaire clarinettiste, marié à Lana Turner puis à Ava Gardner, est décédé mercredi -94 ans Artie Shaw à l'époque de son plus gros succès, Begin the Beguine, en 1938. (DR.)  L'âge d'or de la clarinette s'est terminé vers la fin des années 40 lorsque les big bands eurent vécu. Ces dinosaures avaient été frappés par la comète be-bop et plusieurs individualités, quand bien même virtuoses et maîtres incontestés du swing, n'y résistèrent pas. Chez les clarinettistes leaders, le New-Yorkais Arthur Arshawsky, dit Artie Shaw parce que cela sonne mieux, décédé mercredi à son domicile à Newbury Park, près de Los Angeles, avait beau s'être hissé dans la cour des légendes de l'anche simple et de la direction d'orchestre, avec Jimmy Dorsey et Benny Goodman son plus proche rival aux attaques plus énergiques, il avait trop joué les dilettantes. L'heure de gloire de son jazz raffiné avait sonné. Jamais plus Shaw ne regagnerait 60 000 dollars par semaine. Paradoxalement, ce fut son plus gros hit, Begin the Beguine, de Cole Porter, enregistré à l'âge de 28 ans, en 1938, qui sera responsable de ses aigreurs ultérieures. Cette année-là, ce qui devait être une simple «face B» s'était maintenu au sommet des palmarès durant six semaines. L'argent et la gloire étouffèrent rapidement ce défricheur qui, en 1935, à l'écoute de Stravinski, Debussy, Bartok et Ravel, harmonisait un quatuor à cordes avec une section rythmique pour inventer une sorte de «jazz de chambre» (Interlude en si majeur). Son instrument sur les quatre registres duquel voletaient dix doigts incroyablement experts sonnait moins que les nouvelles people. Récompensé, adulé au point d'avoir suscité l'un des premiers «fans clubs» de l'histoire, Artie s'était laissé prendre par le cinéma. Il joue notamment son propre rôle dans Second Chorus (1940, en français Swing Romance) avec Fred Astaire et Paulette Goddard. Facilités. Surtout, ce Don Juan collectionne les stars, multipliant les mariages avec une Lana Turner fantasque ou une Ava Gardner orageuse. Huit au total, un stéréotype hollywoodien en somme. Certes, l'ego se délecte, mais l'esprit s'écoeure. Le show-biz ? «un champ de foire», déplore vite Artie. Alors, sur son noeud papillon ou ses belles cravates, il repose son soprano en si bémol, en tire encore et encore des volutes de notes sombres, des glissendi prenants. Cela donne par exemple Frenesi (1940) exécuté avec le Gramercy Five, une formation aussi ramassée que délicate. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, aussitôt le succès, son meilleur mauvais ami, revient sabler le champagne et rameute les belles. La donne change deux ans plus tard quand Artie entre en guerre. Pendant dix-huit mois, le voilà dirigeant un orchestre de marines dans le Pacifique Sud. Ce n'était pas que de la guerre d'opérette. Quand les GI dansaient en claquant des doigts, le front se trouvait souvent à portée de canon. La paix revenue, le Gramercy Five ressuscitera jusqu'en 1947 puis Shaw décidera de se consacrer exclusivement à la musique classique. Deux ans durant, il sera soliste au sein d'orchestres symphoniques. Debussy, Ravel, Milhaud, Gould... On le verra aussi interpréter le Concerto de clarinette de Mozart avec le New York Philharmonic dirigé par Leonard Bernstein. Toutefois, l'accueil ne lui conviendra jamais vraiment. «Je ne pourrai jamais comprendre pourquoi les gens veulent danser sur ma musique. Elle est suffisamment bonne à écouter», raille-t-il. Cependant il hésitera, reviendra brièvement à ses premières amours – musicales s'entend – avant de prendre une autre retraite. Celle-ci durera deux années durant lesquelles il a écrit The Trouble with Cinderella, son autobiographie publiée en 1952. Puis ultime retour avec le Gramercy Five et, en 1954, Shaw referme définitivement l'écrin de sa clarinette pour s'exiler en Espagne et préparer deux recueils de nouvelles, I Love You, I Hate You, Drop Dead et The Best of Intentions. «J'ai fait tout ce qu'il est possible de faire avec une clarinette», a-t-il tranché. Propos de perfectionniste. Il est vrai que la légende s'était depuis longtemps cristallisée. Car, outre ses propres interventions gravées dans la cire, celles à la trompette de Roy Eldridge, à la batterie de Buddy Rich, de Barney Kessel à la guitare et de nombreux autres excellents solistes, ainsi que la voix de Billie Holiday comme eux engagée à un moment où un autre par Shaw, valent leur pesant d'admiration. Shaw savait détecter le génie quel qu'en soit le prix. Ouvertement de gauche, il a d'ailleurs été le premier des grands chefs d'orchestre blancs à recruter des musiciens noirs. Pour cela, il fut assigné à comparaître devant la Commission des activités antiaméricaines à l'époque de la chasse aux sorcières. «Les musiciens se souviendront aussi d'Artie comme du meilleur clarinettiste de jazz de tous les temps», a déclaré Bill Curtis, son directeur d'orchestre. Car, à 94 ans, celui que certains surnomment «le roi du swing» même si la couronne doit être partagée possédait toujours un orchestre. En fait, depuis 1978, année de son retour aux Etats-Unis, il avait permis une reformation sous son nom sans y participer. Celle-ci a joué il y a quelques semaines, quand Artie a été honoré par un Grammy Award récompensant l'ensemble de sa carrière.