Exposition Art Brussels, au bonheur des collectionneurs Les amateurs d'art sont des cochons. C'est du moins ce que semble penser l'artiste belge Wim Delvoye qui, après avoir fait naguère tatouer des porcelets, s'attaque désormais aux collectionneurs : pour 500 euros, ils peuvent, comme Jean Gabin le fit d'un pseudo-Modigliani dans le film Le Tatoué, prouver réellement qu'ils ont l'art dans la peau. Une qualité qu'on ne peut dénier aux visiteurs de la vingt-troisième édition d'Art Brussels qui viennent, année après année, de plus en plus nombreux. "Tout le monde me dit qu'il faut y aller", commente cette débutante à sa voisine, dans le train Paris-Bruxelles. Ils seront 30 000, estiment les organisateurs, à défiler ainsi dans les allées jusqu'au lundi 18 avril, jour de la fermeture. Les vétérans se souviennent des premières éditions, qui drainaient dix fois moins de public. Certains les regrettent, car tous ces pionniers étaient des acheteurs. On ne refera pas à chaque édition l'éloge du Belge, vu sous l'angle de la collection, mais il faut rappeler un fait connu de tous les marchands : le pays compte proportionnellement plus d'amateurs d'art contemporain que la France, tous bien informés des dernières tendances et enclins à acheter avec leurs yeux plutôt qu'avec leurs oreilles. Cela donne des journées de vernissages très différentes de celles de foires comme New York, Miami ou Bâle, dans lesquelles il est primordial d'entrer avant les autres pour rafler les derniers petits jeunes qui montent. On en trouvera d'ailleurs assez peu ici. L'époque où la New-Yorkaise Barbara Gladstone venait avec ses Matthew Barney, Shirin Neshat ou Richard Prince est révolue : c'est un marché de collectionneurs, pas de spéculateurs. Ils ne se précipitent pas, prennent leur temps, achètent ce qu'ils aiment et le revendent rarement. A leur intention, les organisateurs de la foire ont encore affiné leur sélection. De 155 en 2003, le nombre de galeries est passé à 145 en 2004, pour tomber à 132 cette fois-ci, dont 77 % de galeries étrangères, parmi lesquelles 24 françaises, le plus gros contingent après les belges. Il ne s'agit pas d'une désaffection, puisqu'il y avait 300 candidats, mais d'une volonté de placer la foire au niveau des meilleures. L'est-elle ? Vu le calibre des visiteurs professionnels étrangers qu'on peut y croiser, on serait enclin à le penser. APRÈS L'HUILE, LE LATEX Il y a les collectionneurs invités, comme cela se pratique désormais un peu partout. Il y a aussi les marchands qui n'ont pas de stands, mais sont là pour prendre la température, et, qui sait, acheter quelques oeuvres à leurs confrères. Il y a des artistes, dont beaucoup, venus d'Amérique latine, de Bohême-Moravie ou du Burkina-Faso, ont choisi la Belgique comme terre d'accueil. Le journal La Libre Belgique cite Fernando Alvim, Jota Castro, Kendell Geers, ou Pascale Marthine Tayou. Ils sont moins nombreux toutefois que ces malheureux Français trop fortunés, venus chercher ici une fiscalité plus clémente. Les organisateurs ont mis aussi l'accent sur la jeunesse, et, sans exclure par principe les galeries montrant de l'art moderne, ont encouragé la venue des plus contemporaines. C'est le sens de la section "First Call", quatorze invités qui ont pour caractéristique commune de n'avoir jamais encore participé à la foire. C'est là que les amateurs trouveront les artistes les plus ébouriffants, ceux qui ont délaissé l'huile pour le latex, le bronze pour le polystyrène. Mais l'essentiel est ailleurs : les événements artistiques associés à la foire n'ont jamais été si nombreux à Bruxelles. Après l'inauguration, le 13 avril, de la douzaine de galeries qui ont investi les vitrines de Ravenstein, près de la gare centrale, le Parisien Alain Le Gaillard s'est organisé son petit festival hors-les-murs, en présentant plus d'une vingtaine d'artistes dans un espace sur le quai des Charbonnages. Une nuit des galeries, le vendredi, a permis aux noctambules d'assister à vingt-cinq vernissages simultanés. Les plus courageux ont poussé jusqu'à l'atelier 340, un lieu alternatif et excentré tenu depuis près d'un quart de siècle par un Bruxellois d'origine polonaise nommé Wodek, qui se définit comme "président-concierge" de cet endroit étonnant et fait partager son goût de la vodka et de l'art contemporain aux VIP comme aux habitants du quartier, qui viennent en famille vivre des moments forts, durant lesquels il arrive, miracle, de parler d'art plutôt que d'argent.