Mort d'Armin Jordan

Mort Armin Jordan, chef d'orchestre suisse Le chef d'orchestre suisse Armin Jordan est mort à Bâle, mercredi 20 septembre, à l'âge de 74 ans. Vendredi 15 septembre, Armin Jordan avait été victime d'un malaise au cours de la première de L'Amour des trois oranges, de Serge Prokofiev, qu'il dirigeait au Théâtre de Bâle. Cet homme modeste, bon vivant notoire, qui pratiquait le franc-parler et l'humour, avait beaucoup travaillé en France, où il avait été chef invité privilégié de l'Ensemble orchestral de Paris, de 1986 à 1993. Il devait diriger l'Orchestre de Paris dans ses concerts des 20 et 21 septembre (il sera remplacé par Frédéric Chaslin) et avait été réinvité par la formation, qui l'aimait beaucoup, pour un nouveau programme au cours de la saison 2006-2007. On se souvient avec émotion d'un des plus beaux concerts de l'Orchestre de Paris, le 23 avril 2004, au cours duquel Jordan dirigeait La Petite Sirène, d'Alexandre von Zemlinsky, une musique "fin de siècle" dont il aimait et comprenait comme peu le style, marqué par une expression sourdement délétère. Le Monde écrivait alors : "De toute évidence fatigué, le chef aux épaules voûtées, assis sur une chaise haute, atteint à ces états psychiques que l'épuisement permet parfois de libérer. Quelque chose de mystérieux, de prégnant et d'indéfinissable, de las et pourtant d'insinuant, comme un poison, une drogue doucement terrible." C'est en homme entier et généreux qu'Armin Jordan aura pleinement vécu sa vie, qui était toute à la passion de la musique et des musiciens. Il l'aura transmise à son fils, Philippe Jordan, à son tour excellent chef à la belle carrière internationale. Jordan senior jurait à qui voulait bien l'entendre que Jordan junior était un bien meilleur musicien que lui-même... Les chanteurs, en particulier, aimaient son sens de l'accompagnement, et la soprano britannique Felicity Lott, avec laquelle il a entretenu une belle amitié artistique, a souvent dit combien elle aimait travailler en sa compagnie. Ils auront notamment gravé, en 1994, un beau programme de musiques rares dédié à Maurice Jaubert et Maurice Delage (Fnac Music) et, dans le même temps, un pétillant récital d'opérettes viennoise et française (FNAC Music, réédité par Virgin Classics en 2004). Pour Harmonia Mundi, en 2001, ils auront livré ce qui est peut-être la plus belle incarnation de La Voix humaine, de Francis Poulenc, depuis la version de la créatrice, Denise Duval, en 1959 (EMI). Né le 9 avril 1932 à Lucerne, Armin Jordan fonde un orchestre à Fribourg, à l'âge de 17 ans, et apprend son métier dans des théâtres d'opéra suisses. Il est engagé comme répétiteur au Théâtre de Bienne/Soleure avant de rejoindre l'Opéra de Zürich puis le Théâtre de Saint Gall. De 1969 à 1989, il est chef permanent puis directeur musical de l'Opéra de Bâle. En 1973, il prend la tête de l'Orchestre de chambre de Lausanne auquel il redonne lustre et réputation. De 1985 à 1997, il est directeur musical de l'Orchestre de la Suisse romande, poste qu'il abandonne afin de se consacrer à une carrière de chef invité, au concert et à l'opéra. Chef attachant mais inégal, capable de routine comme de génie selon les soirs, Armin Jordan aura dirigé des concerts et des représentations d'opéra mémorables et aura gravé de beaux disques. Son Pelléas et Mélisande (Erato), avec Eric Tappy dans le rôle titre, est une version méconnue mais exemplaire de l'opéra de Claude Debussy. On note aussi ses très belles lectures des rares Pénélope, de Gabriel Fauré, et Le Roi Artus, d'Ernest Chausson (Erato). Alors qu'il devait diriger la bande-son du film Parsifal, l'opéra de Richard Wagner, de Hans Jürgen Syberberg (1982), le metteur en scène lui avait demandé de mimer le rôle d'Amfortas, l'homme à la blessure inguérissable. Le physique singulier et inoubliable d'Armin Jordan et sa présence inquiétante ont laissé une trace indélébile dans le souvenir de ceux qui ont vu le film.