Crise Armée américaine : la pire crise depuis 30 ans Le groupe d'études sur l'Irak, formé à l'initiative du Congrès américain et conduit par l'ex-secrétaire d'Etat républicain James Baker et par l'ancien parlementaire démocrate Lee Hamilton, a rendu, mercredi 6 décembre, ses conclusions. Leur objectif : trouver une stratégie de sortie des troupes d'Irak et établir un consensus entre l'administration et l'opposition démocrate, désormais majoritaire au Congrès. Les solutions proposées par le "rapport Baker" sont, pour l'essentiel, politico-diplomatiques. Mais ses rédacteurs ne pouvaient éluder une donnée basique : l'armée américaine est aujourd'hui incapable de renforcer ses moyens pour modifier profondément son dispositif en Irak. Ses effectifs sont insuffisants, le moral des troupes et des officiers est entamé, le recrutement de plus en plus difficile, et les états-majors des diverses armées se déchirent entre partisans et adversaires de l'ex-secrétaire à la défense, Donald Rumsfeld, qui vient de démissionner. La force de combat la plus puissante au monde semble épuisée. Si une crise importante éclatait quelque part dans le monde - imaginons : une attaque nord-coréenne contre la Corée du Sud - l'armée américaine ne pourrait pas, aujourd'hui, y déployer dans l'urgence plus de deux à trois brigades de combat d'active (7 000 à 10 000 hommes) ! Ancien du Vietnam, le sénateur républicain John McCain, membre de la commission des forces armées et probable candidat à l'investiture présidentielle en 2008, faisait part publiquement, il y a plusieurs mois, de ses doutes sur la capacité de cette armée à "faire face à un autre conflit majeur". Son pronostic : "Cela serait incroyablement difficile, compte tenu de la proportion de nos ressources employées en Irak et en Afghanistan. Que se passera-t-il si une confrontation éclate avec la Corée du Nord ou l'Iran ?" Pour mener deux conflits simultanément, comme elle en a la mission, l'armée pourrait même être contrainte de revenir à la conscription, abandonnée en 1973. Le représentant démocrate Charles Rangel, 76 ans, ancien combattant de Corée, a déposé en novembre, par provocation, un projet de loi en ce sens. Il a été massivement rejeté : une telle réforme est en effet économiquement et plus encore politiquement inacceptable. Au mois de novembre, le général John Abizaid, commandant des forces américaines au Proche-Orient, admettait devant le Congrès qu'accroître le nombre de soldats en Irak est devenu presque impossible. "On peut ajouter 20 000 Américains demain et obtenir un résultat temporaire, disait-il. Mais, quand vous regardez les effectifs disponibles, nous ne sommes pas en mesure de remplir cet engagement sur la durée." Le nombre des soldats est déjà passé, au prix d'un effort considérable, de 128 000 au début de l'année à 144 000. Cela n'a pas empêché l'Irak de basculer dans la guerre civile. "Pour seulement maintenir le niveau actuel, nous allons devoir à nouveau oublier nos engagements auprès des troupes et étendre la présence de deux brigades au-delà d'un an, théoriquement la période maximale de déploiement. Cela affecte le moral des hommes", souligne Lawrence Korb, secrétaire adjoint à la défense dans l'administration Reagan (1981-1989) et spécialiste de l'Irak. "Nous ne sommes tout simplement pas capables de mener une guerre de longue durée sans des forces terrestres plus importantes", dit-il. Sa définition d'une "guerre longue" ? Deux ans... Un rapport de 136 pages commandé par le Pentagone en 2006 est aussi alarmiste. Pour son auteur, Andrew Krepinevich, directeur du Centre d'évaluations budgétaires et stratégiques à Washington, "si l'armée continue ainsi en Irak, elle en ressortira profondément affaiblie". Selon lui, la poursuite d'un important déploiement de forces met en danger l'équilibre d'une institution composée exclusivement de volontaires et patiemment reconstruite après le traumatisme de la défaite au Vietnam. Au plus fort du conflit vietnamien (1964-1973), l'armée de terre américaine comprenait 40 divisions d'active et de la Garde nationale. Ce nombre a été ramené à 28 après la chute du communisme (1989-1991) ; il est de 18 aujourd'hui. Si l'armée regroupe plus de 1 500 000 hommes, moins du tiers appartiennent à des unités vraiment combattantes. Plus gênant encore, seuls 200 000 sont issus des formations d'active de l'armée de terre et des marines, les autres viennent de la garde nationale et de la réserve. Les premiers dépendent des Etats fédérés ; les seconds du Pentagone. Ces "soldats du dimanche" représentent 45 % des effectifs de l'armée. Dès le 20 décembre 2004, le général James Helmly, qui commandait 204 000 réservistes mobilisés, estimait dans un mémorandum que sa troupe est en train de "dégénérer rapidement en une force brisée". La garde nationale et la réserve ne sont pas conçues pour être engagées un an sur deux dans une guerre d'occupation. Il faut des mois pour les réorganiser, les entraîner et les rééquiper. En dépit de budgets records - les dépenses militaires sont passées de 294,5 milliards de dollars en 2000 à 491,8 en 2006 -, les crédits manquent pour les équiper de gilets pare-balles de la dernière génération, réparer les véhicules, obtenir de nouveaux hélicoptères. Pour une brigade (environ 3 500 hommes) engagée, il en faut au minimum une et plutôt deux prêtes à prendre la relève. Or l'Irak et l'Afghanistan ne sont pas les seuls lieux où se trouvent des troupes américaines, même si leur présence en Allemagne, en Corée du Sud et au Japon a été réduite ces dernières années. En mobilisant tous les réservistes possibles et en contraignant les soldats de la garde nationale à rester plus longtemps sous les drapeaux, le département de la défense a réussi à faire passer les effectifs de l'armée de terre de 480 000 à près de 600 000 hommes. Mais il décourage ainsi un peu plus les éventuelles recrues ou ceux qui auraient pu prolonger leur engagement.