Changement Après la «démission» de Jiang Zemin, Hu Jintao est désormais seul maître à bord. La génération Hu prend la barre en Chine a cohabitation à la chinoise est terminée. Deux ans après le début de la transition au sommet de la dernière grande puissance communiste au monde, le numéro 1, Hu Jintao, s'est libéré hier de la tutelle pesante de son prédécesseur, Jiang Zemin, qui, à 78 ans, s'accrochait à son poste de chef militaire. Hier, le comité central du Parti communiste chinois (PCC) a pris acte de la «démission» de Jiang de sa dernière fonction, mettant fin à une lutte d'influence feutrée entre les deux hommes. A 61 ans, Hu Jintao se retrouve donc seul détenteur des trois attributs du pouvoir en Chine : le Parti, l'Etat et l'armée. Jiang, qui avait tenté de conserver son influence en restant à la présidence de la Commission militaire centrale (CMC), c'est-à-dire chef de l'armée, a donc jeté l'éponge alors qu'on lui attribuait l'intention de rester jusqu'en 2007. Signe de sa perte d'influence : son «protégé», Zeng Qinghong, vice-président de la République, n'a pas été nommé vice-président de la CMC comme il l'espérait. Lutte de clans. La rivalité entre Jiang et Hu empoisonnait le climat politique depuis des mois. Il s'agissait moins d'une divergence de «ligne», comme à l'époque maoïste, que d'une lutte de clans : Hu n'était pas le choix de Jiang pour une succession dont le scénario avait été rédigé il y a quinze ans par le patriarche Deng Xiaoping. Cette légitimité-là, et une habileté politique qui lui a permis de survivre dans la position inconfortable du dauphin longue durée, ont assuré le succès de Hu... Le secret absolu qui entoure la vie politique au sommet du Parti fait toutefois que les circonstances exactes de ce dénouement ne sont pas encore connues. Reste à analyser les conséquences de cette prise de contrôle désormais achevée. Hu Jintao devra d'abord consolider ses positions dans l'appareil du Parti et dans l'armée, qui restent truffés d'hommes nommés par son prédécesseur. Le comité permanent du bureau politique, l'instance suprême du PCC, est majoritairement composé de partisans de Jiang, même si, après le départ de ce dernier, il est probable que leur allégeance sera moins forte. Idem dans l'armée, où la hiérarchie a été totalement remodelée par l'ancien président. Développement économique. Hu Jintao n'en profitera pas pour lancer la Chine dans une voie différente. Le numéro 1 n'est assurément pas un «Gorbatchev chinois» qui attendrait son heure : l'expression fait toujours figure d'insulte dans les allées du pouvoir à Pékin... Il est au contraire un modernisateur prudent, gestionnaire d'un pays focalisé sur son développement économique, qui garde comme objectif numéro 1 la puissance de la Chine, sous la direction exclusive du PCC. Pas très différent de la vision de Jiang, si ce n'est un style plus «jeune», plus populiste, susceptible d'assurer la survie à l'heure de l'Internet et de l'ouverture des frontières. Dans un long discours prononcé la semaine dernière, Hu avait violemment rejeté le modèle démocratique. «L'Histoire montre que copier aveuglément le système politique occidental représente une impasse pour la Chine», a-t-il dit, critiquant dans le même temps l'exercice du pouvoir absolu «sans supervision et sans limites». Entre ces deux pôles, Hu propose une voie étroite qui fait du PCC le seul lieu de la vie démocratique et de la critique de la gestion gouvernementale, une gageure quand on sait à quel point le Parti est aujourd'hui corrompu et sclérosé. Cette vision devra faire face à une société de plus en plus complexe et diversifiée, avec l'émergence d'une société civile encore balbutiante mais qui n'acceptera pas éternellement les diktats d'une bureaucratie étouffante. En deux ans, Hu Jintao n'a toutefois pas convaincu de sa capacité à relever ce défi de la société comme tous ceux auxquels doit faire face cet immense pays. Surenchère. Pour l'heure, les seuls à se réjouir, peut-être un peu vite, du départ de Jiang Zemin sont les dirigeants taïwanais, qui redoutaient les effets de la surenchère patriotique à laquelle conduisait le binôme à la tête du pays. Ils peuvent espérer une gestion plus sereine de cette question qui demeure explosive, et conditionne en partie les rapports sino-américains. Le reste du monde se félicitera, lui aussi, de cette clarification en douceur au sommet. Jacques Chirac, attendu le 8 octobre en Chine, sera l'un des premiers à en évaluer l'impact.