Exposition Apollinaire foudre de guerreA l'historial de la Grande Guerre, dans la Somme, une exposition atteste la passion que nourrissait le poète pour le champ de bataille.Apollinaire au feu, historial de la Grande Guerre, château de Péronne (Somme). Rens. : 03 22 83 14 18. Catalogue (sous la direction de Laurence Campa), 19 €.ans cette petite mais très belle exposition, soudain un trou et une tache vous sautent à la gueule. C'est un trou dans un casque et une tache de sang sur une page imprimée. Le 17 mars 1916, à 16 heures, au bois des Buttes, Guillaume Apollinaire est blessé à la tempe droite d'un éclat d'obus alors que, dans sa tranchée, il est plongé dans la lecture du Mercure de France. En résulte, après des premiers soins à l'ambulance 1/55, secteur postal 34, un rapatriement à l'Hôtel-Dieu de Château-Thierry, puis une convalescence au Val-de-Grâce de Paris, et le célèbre portrait du poète à la tête bandée. Jouissance. C'est ainsi qu'Apollinaire est passé à la postérité, et il n'en était pas mécontent : «poète bandé», à la fois le verbe meurtri dans ses chairs par la guerre, et les mots comme relancés par la violence du feu, y trouvant une jouissance inespérée, quasi extatique. Il faut dire haut et fort qu'Apollinaire a aimé la guerre : il en souffrait bien, elle le châtiait, et l'inspirait surtout, comme une de ses plus monstrueuses mais belles maîtresses : «Ah Dieu ! que la guerre est jolie...», a-t-il écrit un jour dans un poème ce que lui reprochera toujours Aragon , tout en redoutant évidemment ses «effroyables jardins». Sur sa tombe, une simple croix de bois au Père-Lachaise, la guerre le lui rend bien : il y est déclaré «mort pour la France», promu lieutenant, alors que c'est un autre fléau qui l'a emporté, à 38 ans, deux jours avant l'armistice du 11 novembre 1918 : l'épidémie de grippe espagnole.Apollinaire a aimé la guerre dès le début, déposant une demande d'engagement deux jours après la déclaration du 3 août 1914. Il voulait aller y voir de près, et elle le rendrait Français puisqu'il demande simultanément sa naturalisation, lui l'apatride, Guglielmo Alberto Wladimiro Alessandro Apollinare de Kostrowitzky, «Kostro», né à Rome d'une Russo-Polonaise et de père inconnu. La putain des tranchées serait tout autant sa maîtresse que sa mère. C'est ainsi qu'il l'écrit, mêlant «sensations extraordinaires», autant combattantes ou sentimentales qu'érotiques, dans une correspondance alors innombrable aux filles qu'il connaît et rencontre, Amélia «Ruby» Kolb, ou «Lou», comtesse Louise de Coligny-Châtillon, Madeleine Pagès, jeune professeure de lettres rencontrée en permission dans le train, et Mireille Havet, admiratrice juvénile d'une troublante beauté. Les filles, il les embrasse toujours «à bouche ouverte», «langue à langue à n'en plus finir» (1), et c'est comme cela qu'il «baise la guerre» (Calligrammes).D'obus et de verbe. La der des ders, il la scande bientôt aussi en poèmes, publiés dans le Mercure de France, dans ses recueils le Poète assassiné, Vitam impedere amori ou Calligrammes : le poète célébré d'Alcools (publié en avril 1913) désire forger là une «nouvelle ère» dans son oeuvre. C'est cette rencontre entre la tranchée et le vers, entre l'éclat d'obus et le verbe implosant, qu'il nomme lui-même «sur-réaliste» dans un texte écrit en mai 1917 pour le programme du ballet Parade (musique de Satie, décors de Picasso, texte de Cocteau). Parmi les effets pervers de la Grande Guerre, il faut compter le surréalisme. Apollinaire en eut la vision effrayée et fascinée.Lettres, dessins... L'exposition de l'historial de Péronne fait admirablement comprendre comment tout cela s'est mêlé en un maelström de violence littéraire, d'érotisme guerrier, une esthétique de la guerre en mots. On y voit les textes d'Apollinaire, ses lettres, ses dessins, ses aquarelles, ses objets, accompagnés de photos et d'illustrations des lieux du front où il passa, les cartes postales qu'il envoya ou reçut, et des carnets de certains de ses contemporains, les «poètes des tranchées». La scénographie n'a pas de mal à rendre ces influences contradictoires et multiples telle une danse macabre, la «ronde de guerre» menée par l'artilleur Kostrowitzky main dans la main avec le poète Apollinaire, l'un et l'autre parcourus par le «tremblement des sens» propre à la tranchée qui part à l'assaut, subit les obus, se prépare aux attaques toxiques et met baïonnette au fusil : «A savoir si la guerre est drôle/ Les masques n'ont pas tressailli/ Mais quel fou rire sous le masque...» Apollinaire savait qu'il ne pourrait jamais vraiment décrire ce qu'il vécut au front («En réalité, aucun écrivain ne pourra dire la simple horreur, la mystérieuse vie de la tranchée», avoue-t-il, désarmant sa plume, à Madeleine Pagès), du moins le «parfum horrible des combats» inspira-t-il quelques-uns de ses plus beaux vers. (1) Lettres à Madeleine. Tendre comme le souvenir (Correspondance avec Madeleine Pagès), Gallimard, 468 pp., 22,50 €.
