Mort d'André Schwarz-Bart

Mort André Schwarz-Bart, écrivain L'écrivain André Schwarz-Bart, prix Goncourt en 1959 pour Le Dernier des Justes, est mort samedi 30 septembre à Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe, des suites d'une intervention de chirurgie cardiaque. Agé de 78 ans, André Schwarz-Bart était né le 23 mai 1928 à Metz dans une famille juive modeste venue de Pologne. Son père avait commencé des études pour être rabbin puis avait exercé le métier de marchand forain. Sa langue maternelle était le yiddish. En 1941, la famille trouve refuge à Oléron puis à Angoulême. Le jeune homme entre alors dans la Résistance, tandis que ses parents et deux de ses frères sont déportés : ils ne reviendront pas. Après la guerre, André Schwarz-Bart travaille en usine pour gagner sa vie et reprend des études ; il passe son bac en 1948, et s'inscrit en Sorbonne grâce à une bourse d'ancien combattant. Mais c'est surtout, expliquera-t-il, la lecture de Crime et Châtiment de Dostoïevski, emprunté dans une bibliothèque populaire, qui va être déterminante dans sa vocation d'écrivain. Membre des Jeunesses communistes jusqu'en 1951, il rencontre des rescapés des camps dont il écoute les récits. Mais "vocation" est-il le mot exact ? Car rarement écrivain aura été l'homme d'un seul, d'un unique livre (même s'il en publia deux autres dans les années qui suivirent), un roman qui reste dans les mémoires et les consciences comme l'une des oeuvres marquantes de la mémoire juive. Peu d'années après le grand cataclysme de la guerre et de la Shoah - ce mot n'était pas encore couramment employé - un roman, et non un témoignage, interrogeait le destin tragique du peuple juif. SUCCÈS SPECTACULAIRE André Schwarz-Bart a 31 ans en 1959 lorsque paraît, au Seuil, Le Dernier des Justes. La critique salue le livre. Dans Le Monde, Emile Henriot écrit, non sans quelque condescendance, qu'André Schwarz-Bart, "soucieux de la seule vérité, n'est pas un écrivain d'art ; son style sans délicatesse relève du langage parlé le plus populiste..." Mais le critique ajoute : "Tant pis pour l'art et le goût, quand un souffle puissant anime comme ici un grand livre, lui donne un accent d'épopée, et que l'émotion l'emporte." D'une manière exceptionnelle, le jury du Goncourt, soucieux de favoriser l'avenir commercial du livre, attribue sa récompense au milieu du mois de novembre, soit une bonne quinzaine de jours avant la date habituelle - en décembre à l'époque. Le Dernier des Justes l'emporte contre, notamment Un singe en hiver d'Antoine Blondin et Dans le labyrinthe, d'Alain Robbe-Grillet. Une polémique - on reproche à l'auteur de magnifier la résignation des victimes - et une méchante accusation de plagiat n'empêchent pas le livre de connaître un succès spectaculaire, le plus gros depuis la fin de la guerre. Quelque 450 000 exemplaires sont vendus, et le roman est traduit en de nombreuses langues. Le roman de Schwarz-Bart raconte l'histoire d'une lignée de Justes, ces hommes élus de Dieu pour porter le destin de leur peuple, du Moyen Age au milieu du XXe siècle. Le jeune Ernie Lévy est ce dernier Juste qui est témoin de la déportation et des martyrs de la barbarie nazie. Le souffle du livre est impressionnant, mais n'exclut pas l'humour. Il n'empêche : les questions sur l'iniquité et le mystère du Mal restent béantes, sans réponses : "Si Dieu est en petits morceaux, qu'est-ce que ça peut bien signifier d'être juif ? Quelle est donc la place du sang juif dans l'univers ?" Sept ans après ce livre-événement, en 1967, André Schwarz-Bart publie un deuxième roman, qu'il signe avec son épouse, Simone, antillaise et écrivain elle-même : Un plat de porc aux bananes vertes (Seuil). Ce devait être le début d'une somme sur la "diaspora" noire. En fait, il publiera sous son seul nom un second volume en 1972, La Mulâtresse Solitude, puis il ne publiera plus. "Mon rapport avec les Antillais a été profondément juif, dira-t-il dans un entretien au Monde en 1967. J'éprouvais un sentiment de fraternité, c'est-à-dire la possibilité d'une communication avec ce peuple. Identité de la condition juive et de la condition antillaise ? Non. L'entreprise de génocide dont les juifs avaient fait l'objet instaurait, historiquement, une différence radicale. Contiguïté, plutôt, de deux expériences limites qui autorisaient un dialogue." "Le monde concentrationnaire est le plus grand dénominateur commun de mes livres...", ajoutera-t-il, toujours hanté par les paroles qui ont manqué, par l'histoire des innocents martyrisés.