Annonce Amiante à Jussieu: la justice embraye Les établissements du campus devraient être mis en examen en tant que personnes morales. C'est une étape judiciaire importante dans l'affaire de l'amiante. Demain, les chefs d'établissement du campus de Jussieu sont convoqués par le juge d'instruction Marie-Odile Bertella-Geffroy. Les présidents des universités Paris-VI et Paris-VII et le directeur général de l'Institut de physique du globe (IPG) devraient se voir signifier la mise en examen, en tant que personne morale, de leurs établissements pour «mise en danger de la vie d'autrui». Selon une source proche de l'enquête, ils seront par ailleurs entendus en qualité de «témoin assisté» pour les chefs de «blessures et homicides involontaires». Cette procédure est la réunion de deux plaintes. A l'origine, deux employés du campus, situé à Paris dans le Ve arrondissement, avaient porté plainte en 1996 avec le comité antiamiante de Jussieu pour «blessures involontaires et omission de porter secours» : ils souffraient de plaques pleurales, une diminution de leur capacité respiratoire due à la fossilisation des fibres d'amiante dans leurs poumons. En 1997, 80 victimes déposaient une seconde plainte contre X, invoquant cette fois le délit de «mise en danger de la vie d'autrui» à l'origine de la convocation révélée hier par le Figaro : «C'est le seul motif qui permet de faire de la prévention. Exposer à un danger et ne rien faire contre suffit à caractériser l'infraction pénale, pas besoin que le dommage soit réalisé», explique Michel Parigot, président du comité antiamiante, qui ajoute qu'«aujourd'hui 114 personnes se sont porté partie civile sur l'ensemble de cette procédure». Actuellement il y a à Jussieu 110 personnes victimes de l'amiante reconnues en maladie professionnelle et recensées par les services de médecine préventive des universités, dont dix sont décédées d'un cancer. A cela s'ajoutent trois morts par mésothéliome de personnes exposées sur le campus (lire encadré). Enquête reprise. Ces mises en examen, si elles se confirment, constitueront le premier acte d'instruction dans un dossier qui croupissait au parquet. Faute de moyens et de volonté. Passée entre les mains de trois juges du pôle financier, l'enquête a été reprise, il y a un an, par la juge Bertella-Geffroy, après la création du pôle de santé publique. «C'est une très bonne nouvelle. Huit ans après le dépôt des premières plaintes, cela signe le début de la dimension pénale de l'amiante. Depuis que Bertella-Geffroy s'y est collée, ça bouge enfin», se félicitait hier Michel Ledoux, avocat de l'Association nationale des victimes de l'amiante (Andeva), partie civile. «On ne souhaite pas couper des têtes, mais aboutir à un procès public pour démonter les mécanismes qui ont conduit les décideurs à ignorer pendant trente ans les dangers de l'amiante. Une mise à plat des responsabilités pour qu'un tel désastre ne se reproduise pas avec les éthers de glycol ou les pesticides», explique l'avocat. Les soupçons de la justice devraient par ailleurs accélérer le désamiantage du campus. Et sa mise aux normes de sécurité. «Le 14 juillet 1996, Chirac avait promis qu'à la rentrée suivante personne ne serait plus exposé. Aujourd'hui 40 % du campus restent floqués à l'amiante, des locaux accueillant des labos et des chercheurs, 25 % ont été désamiantés et le reste est en cours de travaux. Mais le chantier piétine à cause de questions d'architecture : mettre les poteaux devant ou derrière les façades ? C'est scandaleux», dénonce Michel Parigot. D'autre part, selon un rapport de la préfecture de police, saisi lors d'une perquisition, le système de protection incendie est dangereux : l'isolation à l'amiante est partie en poussière et des portes coupe-feu sont délabrées. Ligne claire. La route vers un procès sera encore très longue. Surtout dans une affaire aussi complexe, où les décideurs publics ont longtemps été complices des industriels au sein du Comité permanent amiante (CPA) afin d'étouffer toute information sur les risques. De nombreux obstacles attendent la juge Bertella-Geffroy. «Le pôle santé publique aura-t-il les moyens nécessaires en expertise et en enquêteurs ? Pour l'instant ce n'est pas le cas», notait hier un proche de l'enquête. La mise en cause des présidents d'université devrait obliger le ministère public à tracer une ligne claire sur la suite de cette affaire. Ne pas accorder les moyens nécessaires serait une attitude difficilement tenable face aux victimes, dont environ un millier meurent chaque année en France étouffées par l'amiante.