Mort d'Alexandre Zinoviev

Mort Alexandre Zinoviev, philosophe d'origine soviétique Le philosophe d'origine soviétique Alexandre Zinoviev, auteur des Hauteurs béantes, un des livres les plus remarqués de la dissidence dans les années 1970, est mort mercredi 10 mai à Moscou. Il était âgé de 83 ans. L'originalité d'Alexandre Zinoviev a toujours été sa démesure, son goût du paradoxe et de la provocation, sa mégalomanie qui l'amenait à ne tolérer d'autre comparaison qu'avec Alexandre Soljenitsyne - encore le tenait-il pour un écrivain "médiocre" et un penseur "proche de la nullité". Il sort de l'anonymat en 1976 quand il publie en russe, aux éditions de l'Age d'homme à Lausanne (Suisse), un pavé de plusieurs centaines de pages, Les Hauteurs béantes. Avec une verve picaresque, l'auteur décrit, sous couvert d'un pays imaginaire, l'univers soviétique, son absurdité, sa grisaille, les mesquineries et les trahisons en même temps que la férocité et la force de vivre désespérée des habitants de cette planète inconnue. C'est le début de ses ennuis avec les "organes", c'est-à-dire avec le KGB. Il est exclu de l'institut de philosophie de l'Académie des sciences, où il enseigne la logique. Philosophe, mathématicien, il est déjà l'auteur de plusieurs ouvrages théoriques. En 1974, il a fait sa thèse de doctorat sur Le Capital de Marx. Cette fois, les autorités et ses collègues considèrent que Les Hauteurs béantes sont un ouvrage "antisoviétique" et doivent être condamnées comme tel en même temps que leur auteur. Il est chassé du parti, son passeport est confisqué, sa famille harcelée. Il avait connu les tracasseries du régime quand il était adolescent. Pour avoir critiqué le culte de la personnalité de Staline, il avait été exclu de l'université en 1939 et du Komsomol. Il n'avait repris ses études qu'après la guerre, passée comme pilote de chasse. Zinoviev était né le 29 octobre 1922, dans une famille de onze enfants de la Russie profonde. Son père était peintre en bâtiment et sa mère kolkhozienne. Après Les Hauteurs béantes, il récidive l'année suivante avec un petit livre au titre marqué par le sens de la dérision, L'Avenir radieux, qui ne se situe plus dans un pays imaginaire mais raconte les amitiés et les déboires d'un intellectuel. Le livre, qui lui vaudra le prix Médicis étranger, a deux héros, qui sont les deux faces du Soviétique moyen : l'opportuniste prêt à toutes les compromissions pour arriver coûte que coûte et le je-m'en-foutiste qui suit son chemin malgré les brimades de ses collègues. "La tragédie russe a ceci de spécifique, écrit-il, que d'abord elle suscite le rire, ensuite l'horreur, et enfin une indifférence obtuse. (...) Pour moi cela s'explique par le fait que la tragédie russe, tout comme la façon dont on la perçoit, se situe par-delà le bien et le mal, hors de la sphère morale. C'est une réaction purement psychologique ou même physiologique devant un fait terrifiant." Dans ces deux livres apparaissent les formes de l'homo sovieticus que Zinoviev n'aura de cesse de décrire dans toutes ses oeuvres suivantes - et elles seront nombreuses - jusqu'à en faire non seulement le prototype du citoyen soviétique dans le système communiste mais l'essence même de l'être humain. En août 1979 arrive une divine surprise : Alexandre Zinoviev est autorisé à se rendre pour un an à Munich avec sa famille. L'intervention du chancelier allemand Helmut Schmidt n'aurait pas été étrangère à cette décision du chef du Kremlin, Leonid Brejnev. En Bavière, Zinoviev continue à écrire, des romans, des pamphlets, dans lesquels il règle ses comptes avec les autres dissidents, ces "punaises dans les fentes d'une isba". Il écrit aussi des livres politiques où il critique la perestroïka de Milkhaïl Gorbatchev (Katastroika, en 1990). Il ne croit pas le système réformable, bien plus, il ne souhaite pas qu'il le soit. En 1991, il se retrouve plutôt du côté des putschistes dans lesquels il voit des représentants du brejnévisme, "seule alternative au stalinisme", alors qu'Eltsine et ses semblables vont amener la Russie à sa perte. Il devient de plus en plus amer vis-à-vis de l'Occident, dont il déplore la lâcheté et l'attrait honteux pour un communisme transformé en communautarisme. Il se retourne vers la Russie, où il rentre en 1999, parce que Moscou a toujours été "le centre de l'histoire". "En Russie, écrit-il dans Le Monde pour expliquer la fin de son exil, ce ne sont pas seulement ni tellement les valeurs du communisme qui se sont effondrées, mais bien plus les vraies valeurs (non celles de la propagande !) de la civilisation d'Europe occidentale." Il trouve le rempart contre l'"américanisation" du monde dans le Parti communiste russe, qu'il soutient aux élections de 1996 contre Eltsine. Et s'il a un reproche à adresser à Poutine, c'est de ne pas être revenu sur les privatisations, alors que lui, Zinoviev, lui avait "dressé la liste des mesures à prendre. Il ne l'a pas fait. Et a raté l'occasion de devenir un grand homme. Cela condamne la Russie à une dégradation historique", affirmait-il au magazine Lire, deux mois avant sa mort. Tout en se déclarant, sans fausse modestie, "le premier écrivain du XXIe siècle".