Annonce Affaire Seznec : le dernier combat C'est l'ultime bataille, après plus de quatre-vingts ans de combat. Jeudi 5 octobre, la Cour de cassation, siégeant comme cour de révision, doit examiner le cas de Guillaume Seznec, condamné aux travaux forcés à perpétuité en 1924. La journée sera décisive : il s'agit de la 5e demande de révision selon la famille Seznec, la 9e selon l'avocat général, la 14e selon la commission de révision - sous-entendu, le dossier a déjà été rejeté treize fois. C'est probablement la dernière. La famille a épuisé ses voies de recours. Seul le garde des sceaux, s'il estime qu'il y a des éléments nouveaux "de nature à faire naître un doute", peut saisir la commission de révision. Marylise Lebranchu, ministre socialiste de la justice et ancien maire de Morlaix, la ville du Finistère où vivait Seznec, l'a saisie le 30 mars 2001. Après trois ans d'instruction, les cinq magistrats de la Cour de cassation ont estimé que la demande était fondée. Non sans hésitation. L'avocat général, Jean-Yves Launay, s'est inquiété de la condamnation d'un homme "sans qu'il y ait eu ni témoins, ni indices, ni motif démontré, et alors que le cadavre n'a pas été retrouvé et que l'on ne peut préciser ni le lieu ni les circonstances du crime", et il est "totalement persuadé" de l'innocence de Seznec. La présidente de la commission, Martine Anzani, était plus dubitative. La cour de révision, fait rarissime, a ainsi été saisie le 11 avril 2005. Composée des magistrats de la chambre criminelle de la Cour de cassation, sans les cinq membres qui ont déjà eu à connaître l'affaire, elle entendra d'abord le rapport du conseiller Jean-Louis Castagnède, les conclusions de l'avocat général Jean-Yves Launay, puis les avocats des Seznec, Jean-Denis Bredin et Yves Baudelot. Denis Le Her-Seznec, le petit-fils du condamné, qui joue, jeudi, le combat de sa vie, devra enfin trouver en vingt minutes les mots pour toucher les juges. La décision sera mise en délibéré. Si Guillaume Seznec est innocent, la cour pourra alors "décharger la mémoire du mort". Jusqu'ici, la justice l'a plutôt chargé. En 1924, l'avocat général expliquait que que "nul autre" que Seznec ne pouvait être l'auteur du crime, "la certitude est acquise depuis la première heure". L'affaire est pourtant complexe et le scénario de l'accusation hardi. Au petit matin du 25 mai 1923, Guillaume Seznec, 45 ans, maître de scierie à Morlaix, retrouve à Rennes son ami Pierre Quémeneur, conseiller général du Finistère et riche commerçant, à qui le fisc réclame d'ailleurs de lourds arriérés pour "bénéfice de guerre". Les deux hommes partent dans une Cadillac laissée par les Américains, pour la vendre au prix fort à un intermédiaire, à Paris. Seznec rentre seul à Morlaix trois jours plus tard. Quémeneur n'est jamais revenu. Selon l'accusation, Seznec a inventé cette histoire de trafic de voitures. Quémeneur était pourtant bien en contact avec les vendeurs de Cadillac, comme l'attestent les courriers de concessionnaires retrouvés chez lui. Guillaume Seznec, c'est le mobile, aurait voulu voler les sommes que Quémeneur portait sans doute sur lui, toucher un chèque que l'élu devait encaisser à Paris, et lui acheter à bas prix une propriété en Bretagne. "Si le mobile du crime apparaît clairement, par contre, les conditions d'exécution n'ont pu être précisées", note l'avocat général en 1924. Seznec et Quémeneur ont accumulé les ennuis mécaniques sur la route de Paris. A l'époque, les Cadillac ne sont pas ce qu'elles sont devenues : le moteur a des ratés, les pneus éclatent, il faut changer les charbons tous les 100 km. Le chef de la gare d'Houdan, dans les Yvelines, leur aurait indiqué la route de Paris dans la soirée, à 22 h 10, et Seznec a été vu seul, à 23 heures. Il aurait donc tué son ami pendant ces cinquante minutes. Seznec assure, lui, que Quémeneur s'impatientait de cet interminable voyage, qu'il l'a déposé en gare d'Houdan, et que la voiture n'étant pas en état d'être vendue, il est rentré en cahotant à Morlaix, à l'aube du 28 mai. Puis, selon l'accusation, Seznec s'avise tout à coup, le 2 juin, que Quémeneur attendait un chèque de 60 000 francs à Paris. Il aurait filé à la capitale, mais en serait revenu bredouille. L'histoire de ce chèque est importante. Me Pouliquen, notaire et beau-frère du disparu, devait 100 000 francs à Quémeneur, qui avait besoin d'argent frais pour acheter des Cadillac. Le 24 mai, il réclame la somme au notaire, qui promet de lui envoyer 60 000 francs à Paris. Seul Seznec est au courant, soutient l'accusation, c'est donc lui qui est venu, le 2 juin, réclamer à deux reprises la lettre recommandée au nom de Quémeneur, dont il avait les papiers d'identité. La lettre, en fait, n'était pas encore arrivée. On sait aujourd'hui que la scène a eu lieu non pas le 2 juin, mais le 26 mai. La date n'arrangeait pas les enquêteurs : le 26 mai, Seznec est dans sa Cadillac, les mains dans le cambouis, alors que le 2 juin, il est à Paris chez son avocat. Qui donc s'est présenté à la poste le 26 mai ? Si ce n'est Seznec, c'est forcément Quémeneur, mais il est censé avoir été assassiné la veille. Seznec, selon l'accusation, aurait alors patienté jusqu'au 12 juin avant de prendre le train pour Paris, puis Le Havre. Il y aurait rencontré deux témoins, qui l'auraient à nouveau croisé par un curieux hasard dans l'après-midi, en train d'acheter une machine à écrire. Il aurait enfin envoyé un télégramme, au nom de Quémeneur, à la soeur du conseiller général, pour la rassurer. Les horaires collent mal. Il était difficile en arrivant à Montparnasse à 7 h 15 le 12 juin, d'attraper le train à Saint-Lazare à 8 heures. Et impossible, après avoir expédié un télégramme de la poste du Havre à 16 h 35, d'acheter une machine à écrire et de sauter dans le train de 16 h 54. Seznec aurait ensuite tapé deux exemplaires d'une promesse de vente d'une propriété de Quémeneur dans les Côtes-du- Nord (aujourd'hui Côtes-d'Armor) à un prix ridicule : 35 000 francs. Seznec a expliqué qu'il l'avait en fait payée 100 000 francs, avec un dessous- de-table de 4 000 dollars-or. Le 20 juin, il serait retourné au Havre déposer à la gare la valise de Quémeneur, lestée d'un exemplaire de la promesse. Seznec a toujours juré n'avoir jamais mis les pieds au Havre et assure qu'il était à Saint-Brieuc le 12 juin. Les expertises contradictoires des promesses de vente ont seulement prouvé qu'il s'agissait de faux, effectivement tapés sur la machine retrouvée chez Seznec. Si Guillaume Seznec dit vrai, qui a tué Quémeneur ? Le rôle de l'inspecteur Bonny, chargé de l'enquête, est central. Il est soupçonné d'avoir apporté la machine à écrire chez Seznec et fabriqué les faux ; il a montré lors de l'affaire Stavisky, puis dans la Gestapo, qu'il ne reculait devant rien. Quémeneur, avec son trafic de Cadillac, faisait probablement de l'ombre à des gens haut placés. Bonny, homme des "missions spéciales" à la Sûreté, a peut-être été chargé de le faire disparaître, et il fallait faire porter le chapeau au premier Breton venu. Les preuves manquent, bien sûr. "Brouiller les pistes, c'est facile, a expliqué Bonny à son fils, à propos de l'affaire Stavisky. Maquiller les preuves, c'est enfantin. Mais il fallait, avant tout, que l'opinion accepte ma version des faits. Pour cela, je devais lui servir une belle énigme policière, si embrouillée que la vérité demeurerait à jamais insaisissable."