Procès A travers le nouveau procès d'Outreau, la justice en appel Ce devait être une "simple" affaire de pédophilie. C'est devenu le symbole des dysfonctionnements les plus aberrants du système judiciaire français. A compter du jeudi 3 novembre, la cour d'assises de Paris va rouvrir, en appel, le dossier d'Outreau. Pendant un peu plus de trois semaines, les jurés vont reprendre de zéro le fil de cette affaire hors norme qui avait débuté, en décembre 2000, quand des enfants du quartier de la Tour- du-Renard, à Outreau (Pas-de-Calais), avaient révélé à leurs assistantes maternelles des faits de maltraitance dont ils accusaient leurs parents. Une histoire d'homonymie Initialement programmé le 10 mai, le procès en appel de l'affaire d'Outreau avait été reporté en raison d'un supplément d'information, décidé par la présidente de la cour d'assises. L'ouverture de cette nouvelle enquête avait été faite à la demande de Me Julien Delarue, avocat de Daniel Legrand fils, après la diffusion, le 15 avril sur France 5, d'un documentaire de Georges Huercano-Hidalgo intitulé "Les fantômes d'Outreau". Ce journaliste belge y raconte comment il a retrouvé un certain "Dany", dit "le grand" , qui fréquentait le quartier de la Tour-du-Renard. Ce dernier aurait pu être confondu avec Daniel Legrand fils, mais n'a jamais été entendu par les enquêteurs. [-] fermer Sept acquittements en première instance Les six accusés du procès en appel se disent innocents. Quoi qu'il arrive, il ne pourront pas être condamnés à des peines supérieures à celles prononcées en première instance, le parquet général n'ayant pas fait d'appel incident. Curieusement, pour cette audience, les jurés devront tout de même écouter la lecture de l'arrêt de renvoi initial, qui évoque largement des faits pour lesquels les accusés ne sont plus poursuivis. Le verdict du premier procès, rendu le 2 juillet 2004 par la cour d'assises du Pas-de-Calais, à Saint-Omer, condamnant dix personnes et en acquittant sept autres, est apparu incompréhensible, tant aux accusés, condamnés, selon certains d'entre eux, à tort, qu'à nombre d'observateurs. Incompréhensible, mais dans la droite ligne d'une audience semée de soubresauts et de revirements, de crises de larmes et de cris de colère, de déclarations farfelues et d'auditions mouvementées. "AFFAIRE DU SIÈCLE" Dès les premiers jours du procès, l'indigence du dossier d'accusation s'était imposée comme une évidence. Pas un mot des "viols accompagnés de tortures ou d'actes de barbarie" pourtant reprochés à quatre des accusés, qui, jamais, n'ont été interrogés sur le sujet. La "piste belge", derrière laquelle l'accusation avait cru deviner un réseau de pédophiles capables des pires abominations, a été balayée, elle aussi. Il aura suffi pour cela d'entendre des policiers belges venus dire à la barre qu'après des investigations poussées, ils avaient acquis la conviction que "beaucoup de choses -avaient- été inventées" dans cette affaire. L'histoire de la mort d'une fillette, montée de toutes pièces par l'un des accusés pendant l'instruction, dans l'espoir de convaincre le juge de l'absurdité des accusations qui pesaient sur lui, s'est également dégonflée à l'audience. Face aux revirements incessants de Myriam Badaoui, habitante de la Tour-du-Renard, accusée de viols par ses propres enfants et devenue, au fil de l'instruction, la principale accusatrice dans ce dossier, la cour d'assises du Pas-de-Calais s'était résolue, au seizième jour du procès, à libérer sept accusés qui clamaient leur innocence et étaient détenus pour certains d'entre eux depuis plus de trois ans. Une femme avait bénéficié de la même mesure d'élargissement quelques jours plus tôt. Cette décision, même si elle ne signifiait pas un préjugement d'innocence, a marqué un tournant dans le procès. Car, du dossier d'Outreau, l'histoire ne retiendra que sa dimension cataclysmique. Ce moment incroyable où l'institution judiciaire a vacillé sur ses bases, ébranlée par la mise au jour d'un nombre incalculable de dysfonctionnements, de dérapages et d'emballements non maîtrisés qui ont broyé des vies. Au coeur de cette mécanique, Fabrice Burgaud, le jeune juge d'instruction auquel le dossier avait été confié. Un juge vite dépassé par l'ampleur de la tâche, aveuglé par la conviction de tenir l'"affaire du siècle", obnubilé par les déclarations d'une Myriam Badaoui qui, au cours de l'instruction, allait se muer en "auxiliaire de justice", accusant à tort et à travers, multipliant les mensonges, sans que jamais M. Burgaud ne prenne conscience de sa personnalité fabulatrice. Mais le juge, aujourd'hui substitut à l'application des peines à Paris, après être passé par le parquet antiterroriste, n'est pas le seul à avoir failli. Le procureur de la République à Boulogne-sur-mer et les nombreux magistrats de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai qui ont eu à connaître l'affaire ont manqué, eux aussi, de clairvoyance en accompagnant l'instruction de Fabrice Burgaud ou en validant ses actes de procédure sans jamais y trouver à redire. Que dire du rôle des enquêteurs de police, qui ont recueilli la parole des enfants dans des conditions peu favorables à l'émergence sereine de leur vérité ? Que dire des experts, qui ont validé un peu vite cette parole en lui conférant une "crédibilité" largement mise à mal à l'audience ? Que dire encore des services sociaux, si prompts à dénoncer des suspects, comme s'il fallait à tout prix faire oublier leurs propres errements ? Que dire, sinon qu'ils ont contribué, à la place qu'ils occupaient, au désastre judiciaire de l'affaire d'Outreau. C'est finalement la grande leçon du premier procès : la publicité des débats, réclamée par les avocats des parties civiles, a eu le mérite de mettre sur la place publique l'ensemble des ratés de l'instruction de ce dossier. Un risque de huis clos total a pesé sur le procès en appel. Pour "la sérénité des débats" , avait justifié un avocat du conseil général du Pas-de-Calais, représentant légal des enfants victimes. Mais le parquet a fait valoir qu'une telle demande aboutirait à un effet contraire à celui recherché : un procès sur les marches du palais, devant les caméras de télévision. Après une discussion avec Yves Bot, le procureur général de Paris, le département a indiqué, samedi 29 octobre, qu'il demanderait seulement un huis clos partiel pour l'audition des enfants.