Exposition A Nantes, la mémoire de Lygia Clark, plasticienne et thérapeute Comment exposer un mystère ? Comment résumer ce qui relève, avant tout, de la performance et de sa poésie ? Le parcours de Lygia Clark pose un véritable défi à toute exposition : laissant en guise de traces peu d'oeuvres, mais surtout des récits, des sensations, et des souvenirs. Dès lors, que montrer de cette grande dame de l'art brésilien, qui souvent s'est refusée à se dire artiste ? Comment expliquer sa vie toute en (apparents) retournements ? Comment analyser les métamorphoses de cette oeuvre qui, après s'être épanouie dans les ambitions géométriques de la peinture néoconcrétiste, devient vite immatérielle et collective pour se transformer, dans les dernières années, en une forme très particulière de psychothérapie, intitulée "structuration du soi" ? Le Musée des beaux-arts de Nantes relève avec brio ce défi. Se concentrant sur les vingt-cinq dernières années de l'artiste, de 1963 à 1988 (sa période la plus "difficile"), l'exposition mêle vidéos de performances, entretiens, peintures, sculptures, reliques et fac-similés, dans une généreuse perspective : "Que cette oeuvre puisse contaminer la pratique contemporaine de la façon la plus radicale." Radicale, elle l'est en effet comme seules peut-être surent l'être les années 1970. Et certaines oeuvres n'ont aujourd'hui rien perdu de leur violence. Ainsi de ces combinaisons grises que le visiteur est invité à endosser et à remplir de fruits, pour convier les passants à un cannibale festin, qu'évoque une vidéo d'époque : on y voit de jeunes gens, yeux bandés, déguster ce qui semble sortir du ventre de leur condisciple allongé, offert en sacrifice. TRAVERSER, INVESTIR, EXPLORER D'autres oeuvres ont gardé toute leur complexe sensualité, notamment cette installation, La maison est le corps (pénétration, ovulation, germination, expulsion), créée pour la Biennale de Venise de 1968. Avec ses quatre espaces successifs, à traverser, investir, explorer, en franchissant leurs murs élastiques, leurs baudruches accumulées, leurs miroirs déformants, ce pénétrable s'avère pionnier de tout un pan de l'art contemporain. A une différence près : là où le ludique et l'interactif servent aujourd'hui souvent les désirs d'une certaine société du spectacle, Lygia Clark a plutôt pour ambition de "construire une unité entre le cérébral et le perceptif", comme le rappelle un critique américain. Coussins remplis de sable ou de billes légères, pochons pleins d'air, d'eau ou de coquillages ; tissus, pierres, mais aussi masques : l'un, tout en contraste, avec ses paupières en paille de fer et son nez de lavande ; l'autre, ses yeux de miroir qui forcent à un violent face-à-face... Autant d'objets relationnels dont Lygia Clark usait dans ses thérapies, les apposant en différents endroits du corps de ses patients. Le visiteur a beau être autorisé à les manipuler, ils livrent peu de leurs secrets. Si ce n'est cette étonnante "tête collective", datant de 1975, qui, sitôt qu'on s'y engouffre, laisse entendre un bruit d'horizon. Telle est la magie de Lygia Clark : à partir d'objets et de gestes anodins, savoir ouvrir le corps non à un plaisir égotiste, mais à la possibilité d'un nouveau rapport à la "totalité du monde comme un rythme global unique, qui s'étend de Mozart aux gestes du football sur la plage". Au-delà de ces résonances un brin ésotériques, les passionnants entretiens effectués à l'occasion de l'exposition (dont plus d'une trentaine sont ici diffus és) permettent de saisir toute l'envergure de ce projet. Parmi les personnes interrogées, certaines ont été les patients de Lygia Clark selon une thérapie basée sur un principe : "Ne jamais traiter un psychotique comme s'il s'agissait d'un fou, mais comme un artiste sans oeuvre." D'autres ont été ses élèves : quand, pendant ses huit années d'exil en France, de 1968 à 1976, elle était censée leur enseigner à la Sorbonne la "communication visuelle". Arnaud Pierre, historien d'art, en témoigne : "Tout un horizon s'ouvrait. Lygia avait parfaitement compris la fonction de l'art, qui est de stimuler l'esthésie, c'est-à-dire les sensations : ce sur quoi on développe la conscience de soi, et on la raffine." Initiatrice de l'exposition avec Corinne Diserens, directrice du Musée de Nantes, la psychanalyste brésilienne Suely Rolnick renchérit : " Elle apprenait à redevenir vulnérable au monde et à supporter cette crise pour nous mener vers de nouvelles références." Nous sommes le moule, à vous de donner le souffle, rétrospective Lygia Clark. Musée des beaux-arts, 10, rue Georges-Clemenceau, Nantes (Loire-Atlantique). Tél. : 02-51-17-45-00. Jusqu'au 31 décembre, de 10 heures à 18 heures ; jeudi, de 10 heures à 20 heures ; fermé mardi. www.brésilbrésils. com