Annonce A l'heure d'un premier bilan, retour sur les sérieux problèmes apparus depuis le début de cette cinquante-neuvième édition Les six polémiques d'Avignon Jan Fabre, habile et plus calculateur qu'illuminé, se répand partout et n'oublie jamais le marché de l'art et ses amis, d'Abramovic à Rambert. (Photo AFP.)   Faut-il un artiste associé ? S'il y a un problème de fond dans l'édition 2005 du festival, c'est celui que pose le principe d'un artiste invité devant lequel les deux directeurs (depuis 1947, il n'y en avait qu'un) semblent s'effacer, fascinés. En 2004, Thomas Ostermeier ne s'était pas installé partout. Il avait partagé. Homme de théâtre, homme de textes, il répondait aux attentes du public et le conduisait très loin. Jan Fabre, habile et plus calculateur qu'illuminé, se répand partout et n'oublie jamais le marché de l'art et ses amis, d'Abramovic à Rambert. Résultat : une manifestation culturelle de renommée internationale et largement sub ventionnée (6 M€ sans compter les aides indirectes) qui profite aux intérêts d'une petite entreprise d'autosatisfaction. La danse a-t-elle sa place en Avignon ? Jean Vilar fut le premier à l'introduire dans la Cour d'honneur avec Les Quatre Fils Aymond de Janine Charrat et Maurice Béjart par les Ballets du XXe siècle, ce dernier y étant revenu à de nombreuses reprises, notamment pour la création de Bahkti avec Jorg Donn. De la danse il y en a toujours eu, dans le in comme dans le off (plus de trente spectacles cette année). Mais doit-elle tenir une place prépondérante quand, dans la région, un grand nombre de festivals se consacrent entièrement à cet art (Montpellier, Marseille, Aix-en-Provence, Vaison-la-Romaine et Uzès) ? Un spectacle doit surtout correspondre à un lieu et à un public. Il y a en Avignon des lieux mythiques très exigeants comme la Cour d'honneur, le Cloître des carmes et celui des célestins. En revanche, Le Sujet à vif peut se permettre toutes les excentricités le matin et l'après-midi dans le jardin de la Vierge. Et quand Mathilde Monnier bouleverse il y a quelques années avec un spectacle sur les autistes, c'est au gymnase Aubanel. Le meilleur modèle est certainement celui de Montpellier, festival qui imposa en France William Forsythe aussi bien que Jérôme Bel. Son directeur, Jean-Paul Montanari, sait équilibrer ses choix, répondant même parfois aux exigences du public plus qu'à son goût personnel quand il s'agit de remplir le Corum. Il sait que seuls Béjart, Kylian, Neumeier ou Merce Cunningham (aujourd'hui) peuvent rentabiliser de tels lieux et satisfaire le grand public. Mathilde Monnier triomphe aux Ursulines avec la jeune danse contemporaine. L'avant-garde ou les expériences «choré-graphistes» de Trisha Brown sont présentés en des lieux plus pointus, plus intimes. Tout est question de cadre, de nuance, de psychologie. Combien, la statue de Fabre ? Riche comme il l'est, on aurait pu imaginer que le grand plasticien flamand Jan Fabre, s'il voulait qu'un souvenir de lui demeurât à Avignon, fît don d'une de ses oeuvres aux collections de la ville. Mais il l'entendait autrement, pourtant conscient, dit le communiqué du festival, à l'origine du projet «de l'inutilité économique de son travail». Car son hideuse statue inaugurée en grande pompe le 9 juillet a un coût. Selon le conseil municipal du 18 mars dernier, 200 000 € que Dexia devait financer. Mais la firme a renoncé. On aurait trouvé un mécène. Que faisait donc le directeur des Arts plastiques à Avignon ? Et combien l'entretien de cet autoportrait, bronze doré de facture laborieuse, avec larmes et mécanisme intérieur de rires, livre à la main (Jan Fabre, Je suis une erreur) va-t-il coûter ? Quel statut pour l'être humain ? On l'a déjà écrit, mais alors que l'ensemble des spectacles du festival ont été vus, on ne peut que s'inquiéter de la manière dont l'être humain aura été traité au cours de ce mois de juillet. De l'église des Célestins où les Africains sont réduits à l'état de figurants immobiles et muets en passant par le Cloître des célestins où grelottèrent dans le mistral les figurants nus et immobiles de Anathème, des Indiens du Brésil de Saumane, traités comme les faire-valoir d'un discours new age jusqu'à la malheureuse élève de Marina Abramovic, on aura vu partout l'être exposé, humilié, jamais maître de ce qu'il montre. Ça c'est grave. Quelle place pour les habitués ? Sûr de lui, Vincent Baudriller appelle les personnes qui ont le malheur d'avoir assisté à plus de festivals que lui les «pèlerins». Nomenclature héritée du sociologue Emmanuel Ethis, spécialiste du public, qui étudie Avignon depuis quelques lustres. Le renouvellement, il date de 48. Il s'est toujours fait. Naturellement. Par le souci du public inscrit dans l'histoire d'Avignon, la qualité des artistes invités, l'intelligence des programmateurs. Ce n'est pas en décourageant certains qu'on fera venir un public neuf. Ou alors, que soit créée une manifestation multimédia, tendances et compagnie. Y a-t-il une querelle des anciens et des modernes ? Dans un grand élan spontané, un journal du matin et un journal du soir se sont crus obligés de reprendre les questions posées dans ses éditions du 21 juillet par Le Figaro pour les déformer et accuser les rédacteurs en venant au secours, en un beau mouvement purement désintéressé, des directeurs du festival. On voudrait nous faire prendre pour d'infâmes réactionnaires. On a l'habitude. Ce qui est étonnant, c'est la mauvaise foi, la triche, l'interprétation tendancieuse, le mensonge. Au Figaro, on est aussi jeune que Beaumarchais. Et on en est fier. «Sans la liberté de blâmer...»