Annonce 60 ans après Auschwitz, le combat perpétuel d'Elie Wiesel, du Darfour à Harry Gardien de la mémoire juive et infatigable avocat des droits de l'Homme, Elie Wiesel aborde avec une émotion particulière le 60ème anniversaire de la libération des camps nazis, soucieux toujours de cette indifférence qui tue au Darfour ou donne de mauvaises idées au prince Harry.Le Prix Nobel de la Paix, de passage pour 48 heures dans sa ville de New York, devait intervenir lundi lors d'une session historique de l'Onu, avant de repartir pour l'Europe, Davos, puis les cérémonies en Pologne.Pour lui, cette commémoration a déjà un goût à part."Les rescapés sentiront que sans doute c'est leur dernière grande cérémonie. C'est une espèce en voie de disparition", dit-il dans un entretien avec l'AFP. "On se voyait aux mariages, à la naissance des enfants, puis aux mariages des enfants, et maintenant on se rencontre aux funérailles".Pour l'écrivain, cet anniversaire c'est aussi le souvenir très vif de la fin de sa propre détention, à Buchenwald, en avril 1945.Après la rafle dans son village de Roumanie, le jeune Elie avait été séparé de sa mère et ses soeurs à Auschwitz avant d'être transféré à Buna puis Buchenwald, où son père mourra de dysenterie."J'étais convaincu que je ne sortirai pas vivant", se souvient-il. Pour lui, la libération est venue comme "un accident"."Nous étions 400 adolescents dans cette barraque. Tout d'un coup c'est arrivé. Je me souviens surtout que ce n'était pas un moment de joie. Parce qu'avec la liberté on s'est rendu compte qu'on était orphelin. On s'est simplement réuni pour dire le kaddish, la prière pour les morts"."Avec chaque survivant qui s'en va, il y a un fragment de la mémoire qui est enterrée", ajoute-t-il. Pour autant il ne croit pas que la mémoire soit menacée."Je n'ai pas tellement peur de l'oubli, j'avais peur au début, pas maintenant, parce que je sais que cette tragédie est la plus documentée de l'Histoire... J'ai toujours cru que quiconque écoute un témoin le devient à son tour: les enfants des survivants, les amis, les lecteurs, les élèves... On est en train de créer une génération de témoins de témoins de témoins."En revanche, "j'ai peur de la banalisation de cette mémoire, surtout quand on fait des films. Je n'aime pas le mot +docudrame+, qui est tellement à la mode (aux Etats-Unis, ndlr), on n'a pas le droit de mêler la fiction et la vérité, pas à ce niveau-là".Alors, 60 ans plus tard, le monde a-t-il tiré les leçons? A 76 ans, Elie Wiesel hésite, avoue en riant balancer entre optimisme et pessimisme."Les Nations unies ont (lundi) une session spéciale, c'est la toute première fois, et des chefs d'Etat vont se déranger pour aller à Auschwitz. La leçon est qu'on cherche des leçons... Mais si quelqu'un m'avait dit en 1945 que je devrais livrer bataille contre l'antisémitisme en 2005, jamais je ne l'aurais cru. Voila, c'est de nouveau là, le danger".Pour lui, la Shoah restera "un événement unique", toujours incompréhensible. Mais il y voit un élément, qui aujourd'hui encore gangrène le monde: "l'indifférence"."Je connais cinq présidents américains", dit Wiesel, citoyen américain qui pense en yiddish, écrit en français et vit son quotidien en anglais. "J'ai posé la question à chacun d'eux +pourquoi les Alliés n'ont-ils pas bombardé les chemins de fer conduisant à Birkenau ?+ Pas de réponse, il n'y a pas de réponse"."L'indifférence pour moi, c'est le mal. L'opposé de l'amour n'est pas la haine mais l'indifférence, l'opposé de l'éducation n'est pas l'ignorance mais l'indifférence, l'opposé de la beauté n'est pas la laideur mais l'indifférence, l'opposé de la vie n'est pas la mort mais l'indifférence à la vie et à la mort."Alors l'écrivain poursuit son combat, pour le Darfour, contre l'antisémitisme, pour les enfants.L'indifférence, c'est aussi pour lui le prince Harry, qui se déguise en nazi pour une soirée costumée. Ou les Britanniques qui, selon un sondage, sont 45% à ignorer ce qu'est Auschwitz."Peut-être qu'on n'a pas assez travaillé. Et en même temps, je me dis, ce prince Harry, quel idiot, mais quel idiot ! S'il veut choquer qu'il trouve autre chose. Une organisation juive veut l'emmener à Auschwitz, mais ce n'est pas le moment. Qu'il commence d'abord à voir les documentaires, qu'il lise les témoignages, qu'il plonge là-dedans, ensuite peut-être il pourra y aller"."C'est l'ignorance, mais plus que ça, c'est l'indifférence, vraiment. Ca fait rire, mais c'est très dur".