Exposition 50 Raphaël rassemblés à Rome La Galleria Borghese est le lieu en apparence le moins fait de Rome pour recevoir des expositions temporaires. Les salles du rez-de-chaussée sont pleines de marbres et de bronzes de l'Antiquité et de la Renaissance et accueillent aussi quelques Caravage et Bernin de premier ordre. A l'étage, les chefs-d'oeuvre pullulent, Lotto, Cranach ou Titien. Les déplacer, les décrocher et faire de la place pour d'autres oeuvres paraît presque impossible. C'est néanmoins ce qu'a osé Anna Coliva, directrice de la Galleria et commissaire de l'exposition "Raphaël, de Florence à Rome". Le résultat est surprenant : une cinquantaine de peintures et de dessins de Raphaël, si habilement placés dans les salles que l'on oublierait qu'ils viennent de Londres, de Baltimore, de Budapest et même de Paris puisque le Louvre, bien que réputé peu prêteur, a laissé La Belle Jardinière revenir en Italie. Le visiteur glisse entre quelques-unes des oeuvres les plus illustres de l'histoire de l'art, Vierges à l'enfant, portraits, grande Déposition qui appartient à la Galleria Borghese. On écrit "glisse" parce que le nombre de visiteurs admis à entrer en même temps est si réduit et surveillé que, pour une fois, dans une exposition vouée à une forte fréquentation, les conditions de vision sont miraculeusement bonnes - à condition d'avoir réservé assez à l'avance. Pourquoi ces Raphaël de jeunesse, ici, maintenant ? Pour célébrer la reconstitution de la pala (retable) dont la Déposition de 1507 (l'artiste a 24 ans...) est l'essentiel. UN VISAGE DE FEMME Des recherches ont permis de la recomposer presque entièrement : la terrible Déposition, mouvementée et pathétique, aux couleurs intenses et presque aigres, est au centre, évidemment. En dessous, Raphaël a peint une prédelle de figures symboliques en grisaille, dans le style antique : la Foi, l'Espérance et la Charité et des angelots qui sont d'habitude au Vatican. Au-dessus apparaît un Père éternel peint d'après une idée et un dessin de Raphaël, mais par un autre que lui. La pala reconstituée est flanquée de ses esquisses préparatoires à la plume, venues d'un peu partout dans le monde. Il suffit de comparer les études successives, complètes ou partielles, pour voir comment Raphaël travaille et à quelle connaissance anatomique du nu il doit de conférer à ses figures leur dynamisme expressif. Les conditions sont réunies pour une analyse serrée de la méthode de création - une analyse qui devrait savoir répondre à des questions inattendues, telle celle-ci : pourquoi, dans le dessin préparatoire de La Déposition conservé aux Offices à Florence, le Christ mort a-t-il un visage de jeune femme évanouie ? Autour de cet ensemble, deux autres ont été rassemblés selon des critères chronologiques et thématiques : des oeuvres exécutées par un Raphaël d'entre 20 et 25 ans, des Vierges à l'enfant d'une part, quelques portraits de l'autre. HUMAIN, HUMAIN Parmi ces derniers, aucune découverte - ce serait un miracle aujourd'hui -, mais le plaisir d'examiner tout à loisir une oeuvre qui voyage peu, le portrait masculin de la collection Liechtenstein, tout en noir et rouge, au regard méfiant et à l'identité non établie. La série des madones est plus riche : la Belle Jardinière donc, la Madone Colonna de Berlin, la Niccolini de Washington et celle dite "aux candélabres" de Baltimore. Ces deux tableaux étant accrochés face-à-face, le geste de l'Enfant Jésus en devient plus visible encore : dans l'un et l'autre tableau, il tire sur le corsage de sa mère et enfonce sa main entre ses seins. On y voit d'ordinaire la volonté d'exprimer la nature humaine de Jésus, qui, comme tout nourrisson, demande à téter : preuve manifeste de l'incarnation. L'explication théologique ne suffit peut-être pas pour autant à justifier l'autorité du geste et l'expression des yeux et de la bouche dans l'oeuvre de Baltimore : un appétit presque brutal, qui contraste avec l'immobilité songeuse des deux anges. Les dessins sur ce même sujet confirment ce qu'il y a de trivial et de naturaliste dans ces scènes, comme si Raphaël n'avait pas voulu trop idéaliser l'image et s'écarter de la réalité d'une maternité, telle qu'il pouvait l'observer au quotidien. Si tel est le cas, il n'en est que plus judicieux que l'exposition s'ouvre, de façon surprenante, sur la Fornarina, le buste nu, le regard peu farouche, la main droite sur le sein, la gauche posée sur son ventre. Ainsi se trouverait suggérée une vision de Raphaël plus humaine que divine, plus amoureuse que religieuse. A moins que cette interprétation ne soit influencée par le voisinage de tant de nudités antiques et modernes, tout au long de cette exposition d'un genre décidément inhabituel. "Raffaello da Firenze a Roma", Galleria Borghese, piazzale del Museo Borghese, Rome. Infos et réservations : 00-39-06-32810. Du mardi au dimanche de 9 heures à 19 heures. Entrée : 12,50 €. Jusqu'au 27 août.