Anniversaire 30 ans de grands bandits Le 3 février 1975 est créée la brigade de répression du banditisme. Braquage de l'avenue de la République en 1975, première attaque de fourgon blindé en 1976, le gang des Postiches de 1981 à 1985,l'affaire des ripoux, l'arrestation de Ferrara en 2003... Retour sur les hauts et les bas de la BRB. e jour du premier hold-up avec prise d'otages en France, l'inspecteur Yves Héraut, de la brigade de répression du banditisme (BRB) ronge son frein, accroupi derrière une voiture, revolver pointé en l'air, face à la banque cernée, avenue de la République à Paris: «Je me demande comment ça va se terminer.» Ce 27 février 1975, à 16h10, «le hasard voulut que deux collègues passent en voiture devant la Société centrale de banque au moment où trois braqueurs qui viennent d'abattre le caissier en sortent» pour regagner leur Mini Austin orange garée en double file. Les policiers ont tiré et tué le premier, Alain Lacabanne, fils de gendarme, maintenant allongé dans son sang sur le trottoir. Ses deux comparses se replient dans la banque. Fourgons Citroën des flics à képi et Simca rose bonbon de la police judiciaire (achetées au rabais) rappliquent. Des dizaines d'inspecteurs en blouson de cuir et cheveux longs se mettent à l'affût : «C'est une attente fort longue à cause des tractations car les deux bandits exigent 100 millions chacun.» Le commissaire Broussard de l'Antigang a du mal à négocier avec ces deux garçons de Belleville qui n'ont plus rien à perdre. Et ça dure plus de dix heures. «On s'inquiète, on se gèle et on n'a pas le temps de manger. Si des plateaux-repas ont été apportés aux ravisseurs et aux otages, c'est pas d'actualité pour nous», dit le chef du groupe «flag» (flagrants délits), Yves Hérault, 38 ans alors. «Puis c'est la remise de rançon car des vies humaines ça n'a pas de prix et bien sûr on espère toujours récupérer l'argent plus tard.» Baptême raté A 2h30 du matin, Sid Ahmed Badaoui, 20 ans, fils de coiffeur marocain de Belleville, et son compagnon décrochent 200 briques, une Alfa Romeo, et filent avec trois otages. «Après, c'est un peu l'hallali. Je saute sur ma moto, une Honda 250, les collègues dans les bagnoles de service pas toujours discrètes. On suit tous l'Alfa, et c'est pas rien vu son allure, on enquille place de République, Magenta, et puis on les perd à Barbès.» Ils ont été semés à cause de deux erreurs, tactique et technique : «Il n'y a pas eu de quadrillage du secteur par nos véhicules» qui ont tous essayé de coller au train de l'Alfa, et la «balise» (bip-espion) installée sous la voiture rapide des preneurs d'otages pour les localiser n'avait qu'une portée de... 60 mètres : «Alors là, c'est une sensation un peu d'échec.» La toute nouvelle brigade du quai des Orfèvres qui, le 3 février 1975, remplace la modeste «VP» (voie publique) afin de monter en puissance contre les voleurs organisés, tire la leçon de ce baptême raté. Les bandits aussi qui copient les agresseurs de la Société générale, identifiés mais jamais rattrapés. «On a deux nouvelles prises d'otages avec remises de rançon dans des banques en 1975, mais on finit par les serrer», explique le commissaire Jean-Jacques Herlem, actuel chef de la BRB. «En 1976, on se retrouve face à la première attaque de fourgon de transport de fonds de la Securicor, puis à deux autres l'année suivante. C'est ultraviolent car les voyous s'en prennent directement aux convoyeurs, et pas encore au blindage des fourgons. On va de flingage en flingage. Jusqu'en 1985, j'ai recensé 43 morts, convoyeurs, commerçants, bijoutiers, badauds, employés de banque, au cours de vols à main armée en région parisienne.» Sans compter les voleurs abattus. Les gangsters s'ingénient à trouver «de nouveaux modes opératoires, ou changent de cibles» au fur et à mesure que les banques s'équipent en systèmes d'alarme, sas de sécurité, vigiles armés, et laissent à tout casser 30 000 francs dans la caisse. Le commandant Jean-Pierre Colombi, qui use depuis vingt-trois ans ses semelles et pneus au cul des bandits, chasse sur le terrain et manipule des indics pour attraper «ces équipes structurées, organisées, professionnelles, tels les braqueurs de la banlieue Sud» ­ une cinquantaine de «mauvais garçons» du Val-de-Marne ayant grandi ensemble. Comme ces bandes sont «en général issues du Milieu», il suffit parfois de faire remonter un «bon tuyau» pour savoir qui a fait le coup, puis surveiller au long cours afin de «serrer les mecs». Dans le Milieu traditionnel, il y a toujours des «langues de pute» qui «donnent» les concurrents ou les ennemis. Quatre ans de «Postiches» Mais la BRB n'arrive à rien par ce procédé pour démasquer le gang des Postiches qui, de 1981 à 1985, déboulent dans les banques des beaux quartiers, déguisés en bourgeois au look british en loden, tweed, avec chapeaux cloches anglais, lunettes d'écaille, fausses barbes et moustaches. Ces loustics ingénieux et courageux prennent possession des agences en plein jour, retiennent clients et employés une à deux heures, le temps d'éventrer au marteau et au burin les minicoffres loués par les particuliers. Ils raflent des fortunes dans ces casiers qui regorgent de liasses, de lingots d'or, pièces et bijoux, de fric non déclaré au fisc par des «riches» effrayés par l'avènement de Mitterrand à l'Elysée et d'un gouvernement socialo-communiste. Rien ne filtre du Milieu sur ces innovateurs gonflés et discrets qui font d'affilée six ou sept braquages spectaculaires, puis disparaissent de la circulation. A tel point que les enquêteurs les prennent un temps pour des bandits «politiques et financiers» d'Action directe. Ils ignorent alors que ce sont des voleurs expérimentés de Belleville et de Montreuil, soudés et organisés comme un commando, piqués de voyages et à l'abri des mouchardages : «Les Postiches ont tenu la BRB en échec pendant quatre ans», admet le commissaire Herlem. A défaut de mettre la main sur les pionniers, volatilisés, la BRB interpelle des tas d'émules et place en garde à vue 240 suspects de «VMA» (vols à main armée) de tous poils en 1984. Pour contrer les Postiches, un dispositif spécial appelé «plan Ballon» est mis au point : des alarmes sismiques sensibles aux secousses des marteaux et des burins sont installées dans les salles des coffres des banques et déclenchent l'alerte à la PJ. Après de multiples fausses alertes (ces appareils réagissent à la moindre secousse d'un camion ou d'un marteau-piqueur dans la rue), le 14 janvier 1986, le système se met en branle au Crédit Lyonnais, rue du Docteur-Blanche, dans le Xe arrondissement. Les Postiches sont en plein turbin, 67 flics en civil de la BRB et de l'Antigang les attendent. Suivant les consignes, ils ne doivent «pas intervenir à chaud sur les Postiches» afin de ne pas provoquer de grabuge avec les otages, mais les prendre en filature et les arrêter plus tard. Las, l'impulsif commissaire Raymond Mertz, patron de la BRB, fait feu, ce qui déclenche une fusillade : un gangster et un policier s'entre-tuent. Deux braqueurs s'enfuient avec des flics en otages. La BRB a la scoumoune Ce fiasco, qui a causé la mort de l'enquêteur Jean Vrindts, suscite une fronde des inspecteurs contre «la faute de commandement du commissaire Mertz». Du jamais vu au 36 quai des Orfèvres. En trente ans de brigade, c'est l'un des épisodes les plus noirs. Un autre de ces coups durs est la découverte en son sein d'une bande de ripoux. L'enquêteur du groupe nuit Pascal Jumel a plongé avec des collègues qui ont braqué des bijoutiers et marchands de fourrures supposés véreux, des supermarchés et même une banque, avec cartes de police et menottes du service. La BRB a la scoumoune. Le 9 juillet 1986, une explosion éventre ses nouveaux locaux, quai de Gesvres. La bombe, déposée dans les WC par Max Frérot, membre de la branche lyonnaise d'Action directe, tue le chef des inspecteurs, Marcel Basdevant, figure et ancien de la BRB, et blesse vingt policiers dont deux grièvement. «Deux tragédies la même année, la brigade a mis du temps à s'en remettre», dit le commissaire Herlem. La BRB reprend la chasse aux voleurs d'un autre type : «On voit apparaître des équipes de banlieue, des cités, plus impulsives qui tapent d'un coup une banque ou une bijouterie, sans trop de préparatifs et sans la mentalité des précédents», souligne le commandant Colombi. «Avant, sur les interpellations, ils levaient les bras tout de suite. Maintenant, même un petit casseur peut tirer sur le poulet. Ils sont plus violents.» Le capitaine Pierre Allanic souligne la mode des «saucissons» de personnalités à la fin des années 90 : «Ces équipes de cambrioleurs agressent des gens à domicile et les attachent comme des saucissons» pour extorquer la combinaison du coffre-fort ou la cachette des économies. Ainsi, la femme de Serge Trigano, ex-PDG du Club Med, l'ancien ministre Lionel Stoleru, la mère du patron Vincent Bolloré, l'épouse du chanteur Charles Aznavour ont été «saucissonnés» et dépouillés. Les attaques de sociétés de transport de fonds et de fourgons ont repris en 2000 «d'une autre manière, par mitraillage avec des armes de guerre puis par explosifs», précise le patron de la BRB, par des «équipes hétérogènes dans leur mode opératoire et dans leur composition, avec des voyous chevronnés aux côtés de jeunes des cités ou de gens du voyage» qui se montent «autour d'un personnage». Antonio Ferrara, fils d'un pizzaïolo italien de Choisy-le-Roi, bandit bravache et charismatique, artificier supposé sur des gros coups, est l'archétype de ces bandits du début du XXIe siècle. Devenu à 29 ans un célèbre «client» de la BRB, il a signé le 12 mars 2003 une évasion hardie de la forteresse de Fresnes, avec un commando équipé de lance-roquettes et de plastic. Il a été rattrapé quatre mois plus tard au Peanut's Café, rue de Bercy à Paris par la BRB.